D’abord ‘J’aime‘ : dans le cadre des festivités qui vont avoir lieu à l’occasion de l’inauguration du Louvre mardi prochain par un homme ‘normal’, la ville de Lens organise plusieurs manifestations.
Je ne vais pas ici les rappeler toutes, elles sont déjà décrites sur de nombreuses pages du web dont le site officiel de la Ville de Lens. Pourtant, il en est une qui a retenu mon attention, c’est l’exposition qui va avoir lieu du 27 novembre au 8 janvier au théâtre du Colisée : ‘ ‘Sainte Barbe, culte et traditions ». L’ancienne Capitale du Pays Minier va faire honneur à ses anciens, et c’est très bien. A l’heure ou le Bassin Minier à été élu au Patrimoine Mondial d’ l’UNESCO, cette exposition est un bel hommage aux hommes et aux dames qui ont, pendant des décennies, user leurs bras, leurs corps et leur poumons à extraire du fin fond du sol ce que l’on appelait à l’époque ‘l’Or Noir’.
Maintenant »J’aime pas » : Toujours dans le cadre de l’ouverture prochaine du Louvre-Lens, des »statues monumentales » ont été installées le long du parcours entre le centre ville et le musée. Autant j’aime regarder un beau tableau, une belle sculpture de marbre ou de pierre, de belles photos… autant je n’aime pas cet art qui consiste à souder des pièces de métal les unes aux autres et de dire que cela représente telle ou telle chose.
Celle ci, installée près du Pont Césarine :
C’est, parait il, un animal mais lequel ? Moi, ça ma fait plutôt penser à la trancheuse de jambon de mon charcutier !
Et celle ci, posée devant l’entrée de la Maison du Projet :
Elles devraient figurer un couple de mineurs. L’une (l’homme) possède trois bras d’un côté et zéro de l’autre et semble avoir une attitude de flamant rose avec une patte en l’air, l’autre me fait penser à une boite de violoncelle qui aurait subit une cure d’amaigrissement.
Mais ce que je trouve encore plus triste, c’est le nom qu’à donné l’artiste à cette œuvre :
Regardez dans votre dictionnaire la définition du mot ‘Mineuse’ et vous serez d’accord avec moi quand je dis que beaucoup de descendants de mineurs trouvent ce terme quasiment insultant pour leur mère ou leur sœur.
Alors, Monsieur Vincent, continuez à exposer puisque l’on vous le demande (tout le monde n’a pas les mêmes goûts et c’est tant mieux), mais au moins allez vite effacer ce mot de cette plaque. Merci.
Après la catastrophe des Mines de Courrières qui a fait 1100 victimes, le Syndicat des Mineurs, dit « le Vieux Syndicat » emmené par Emile Basly, Arthur Lamendin et Henri Cadot veut étendre son influence dans le bassin minier en général et la région lensoise en particulier. Mais les cafés et estaminets qui servent de lieu de réunion deviennent trop exigus devant l’augmentation des adhérents.
Il est alors décidé de construire à Lens un grand édifice qui démontrera à la population et aux directeurs des Compagnies Minières l’importance du syndicat. Il permettra aux mineurs de mieux se faire représenter et se défendre face aux conditions inhumaines imposées par les tout-puissants directeurs des Compagnies.
C’est à Casimir Beugnet, trésorier du syndicat du Pas-de-Calais, et délégué à la fosse 2 des Mines de Béthune que revient la tâche de trouver l’argent nécessaire à la construction du bâtiment.
Il réussit à obtenir des subventions publiques (il faut dire que les grands responsables du syndicat sont aussi des élus municipaux ou des députés) mais aussi de l’argent issu de collectes effectuées auprès des mineurs syndiqués qui étaient près de 30 000 à cette époque. Son épouse tenant un estaminet dans la rue Decrombecque à Lens, il lui est facile de contacter les mineurs .
En 1910 commence donc, dans la rue du Creusot, près de la place du Cantin la construction de cette immense bâtisse à l’architecture remarquable.
Elle est inaugurée en octobre 1911 par Emile Basly entouré de tous les responsables du syndicat et de nombreux militants.
Le malheureux Casimir Beugnet ne vera pas cette inauguration : il décède subitement le 1er juillet 1910 à l’âge de 49 ans.
En sa mémoire, le syndicat fait érigé une statue qui est installée au centre du jardin se trouvant dans la grande cour de la Maison Syndicale. Un peu plus tard, la Municipalité décide de débaptiser la rue du Creusot pour lui donner le nom de Casimir Beugnet.
Appelée aussi parfois La Maison des Mineurs du Nord – Pas-de-Calais, l’édifice est un modèle exceptionnel dans sa conception et son architecture. Elle est construite en briques rouges. Les différentes pièces sont disposées sur les deux niveaux de façon totalement symétrique par rapport au hall d’entrée. Au dessus du porche, à l’étage un balcon doit permettre aux orateurs de s’adresser à la foule des mineurs rassemblés jusqu’à la Place du Cantin.
L’aile droite du bâtiment abrite le syndicat des Mineurs. Les ouvriers viennent y recueillir des renseignements et des conseils sur le fonctionnement des Caisses de Secours ou les aides familiales ou simplement rechercher l’aide du syndicat pour un problème personnel ou professionnel.
L’aile gauche est occupée par l’Imprimerie Ouvrière qui diffuse notamment le journal du vieux syndicat ‘Le Réveil’.
La rue du Creusot dans laquelle se trouve la Maison Syndicale donne sur la Fonderie Bracq qui disparaitra lors de la guerre 14-18..2
Centre historique et incontournable des luttes ouvrières des mineurs, point de départ de nombreux cortèges syndicaux, elle est, jusqu’à l’extinction totale de l’exploitation charbonnière, le siège des syndicats de mineurs CGT du Bassin Minier.3
Survient alors la Première Guerre mondiale. L’occupation allemande puis les combats pour la libération de la ville font que Lens est totalement détruite lorsque la libération arrive enfin. La Maison Syndicale, qui n’a pas échappé au désastre, est entièrement rasée.
Pendant la guerre, les réunions du Syndicat ont lieu à Bruay-en-Artois. A la fin des conflits, le Syndicat occupe des locaux provisoires installés sur la Place du Cantin.
Emile Basly, en tant que Maire de Lens, commence dès 1918 les travaux pour rebâtir la ville. Dans son rôle de responsable syndical, il propose dès 1921 la reconstruction de la Maison Syndicale.
Lors de la réunion du Conseil d’Administration du Syndicat des Mineurs du 9 avril 1921, il déclare : «Il est absolument nécessaire de désigner un architecte tout de suite afin de procéder rapidement à la reconstruction de notre Maison Syndicale». C’est Jean Goniaux, architecte douaisien, qui est choisi. (Source Gauheria n°76).
La nouvelle Maison Syndicale, qui est édifiée au même endroit, est quasiment identique à la première.
Elle est reconstruite à partir de 1922. Face à son porche est ouverte la rue Florent Evrard, la reliant directement à la Place du Cantin.
La similitude des deux bâtiments, voulue par les responsables syndicaux, est frappante : même matériaux, même dimensions, même sculptures. Seuls, quelques points de détails peuvent les différencier : les inscriptions ‘Secrétariat’ et ‘Imprimerie’ de part et d’autre du balcon ont été remplacés par des balustrades, un jardin ‘art-déco’ occupe désormais la cour centrale et le fronton reconstruit n’est pas totalement identique au premier.
Les motifs sculptés au dessus du porche marquent la volonté du Syndicat d’afficher sa puissance .
Les lions, symboles de cette force encadrent des mineurs au travail glorifiant ainsi la force et l’endurance de ces hommes du fond :
à gauche, l’abattage au pic et à genoux
au centre, le boisage des bowettes
à droite, le roulage du barrou
Au dessus de l’inscription ‘Maison Syndicale’, visible de très loin, une sculpture avec le chiffre 10 : l’année du début de la construction du premier bâtiment.
L’inauguration a lieu le 16 septembre 1926 en présence d’Emile Basly, d’Henri Cadot et d’Alfred Maës qui est devenu entre-temps Député mais aussi le nouveau Secrétaire Général du Syndicat. Roger Salengro y prononça le discours. Nul doute que ce fut un jour de fête comme on en faisait alors avec grands discours, fanfares et banquet.
Entre temps, en 1919, le journal syndical ‘Le Réveil’, toujours imprimé dans cet édifice, est devenu ‘la Tribune du Mineur’ par décision du Conseil d’Administration du Syndicat du 8 juin 1919. (Source Gauheria n°76).
La salle de spectacles située derrière la maison syndicale et ouvrant sur la rue Emile Zola est construite en même temps. En 1928, les propriétaires du cinéma-théâtre ‘le Casino’ situé rue de Paris proposent de louer la salle pour un loyer de 18 000 francs par an en précisant que le syndicat resterait prioritaire en cas de besoin. C’est une aubaine pour celui-ci toujours à la recherche de fonds.
Quelques années plus tard, le bâtiment est transformé en salle de cinéma. ‘Le Cantin’, qui tente de concurrencer l’Apollo. reste un cinéma de quartier avec ses films de série B. Après les évènements de mai 68 et la ‘libération sexuelle’, le Cantin est même connu pour être le premier cinéma lensois à projeter des films à caractère pornographiques. On est loin alors la vocation première de cette salle.
Pour faire face à la chute du nombre de spectateurs, il faut transformé la grande salle de 888 places en 5 plus petites. Malgré cela, le cinéma finit par fermer ses portes définitivement dans les années 90.
Le site est ensuite racheté par un mouvement religieux considéré par certains comme une secte, ‘la Source’, qui modifie la salle afin d’en faire un lieu de culte. C’est cette ‘église’ qui sera à l’origine de la demande de classement du site. Finalement, les locaux sont définitivement fermés avant que le projet n’aboutisse et finissent par se dégrader.
La Maison Syndicale a été le centre de tous les conflits du Bassin Minier. Les responsables syndicaux y étaient ‘chez eux’. La photo ci contre démontre la force du syndicat (devenu la CGT depuis la scission de 1948) dans l’entre-deux guerres. On peut y voir tout le groupe de délégués encadrant leur Président Alfred Maës.
Pendant la seconde guerre mondiale, les Allemands réquisitionnent le Maison Syndicale. L’attitude des mineurs, qui se mettent en grève en 1941 autant contre les directions des Compagnies que contre l’occupant, leur procure un sentiment de vengeance. De nombreux attentats ont aussi pour auteurs des ‘gens de la mine’, les sabotages dans les fosses ralentissent la production que les occupants voudraient pourtant voir se développer. Les Allemands utilisent la Maison Syndicale comme prison pour les détenus civils de la région.
Quelques années après la libération, la Maison Syndicale allait encore vibrer sur ses bases. Auguste Lecœur, qui vient de perdre sa place de maire de Lens, battu pas le ‘SFIO’ Ernest Schaffner, est à l’origine d’un important conflit. Les ministres communistes sont évincés du gouvernement, il n’en faut pas plus pour que la CGT déclenche un mouvement de grève nationale dans les charbonnages. Autant politique que revendicative, l’action oppose les mineurs aussi bien au gouvernement qu’aux toutes nouvelles houillères nationalisées. De grands rassemblements ont lieu un peu partout. A Lens, c’est, bien sur, à la Maison Syndicale et dans la salle de spectacle que les grévistes viennent manifester, écouter et ovationner les orateurs.
D’autres mouvements suivront comme en 1963 ou plus de 50 000 mineurs en grève se rassemblent à Lens pour manifester contre la politique de désengagement du Général De Gaulle et de son Premier Ministre Pompidou.
Mais inéluctablement, le nombre de mineurs diminue, le syndicat perd de son influence mais le siège est toujours installé à la Maison Syndicale. Une figure emblématique va y passer une bonne partie de sa vie : Marcel Barrois, Président du Syndicat CGT des Mineurs.
Le 14 janvier 1997, le bâtiment est inscrit à l’inventaire supplémentaires des Monuments Historiques en raison de son importance sociale.
Bernard Ghienne, qui siégeait alors à la COREPHA (commission pluripartite chargée d’étudier les demandes de protection et de donner un avis au préfet de région) est chargé, étant lensois, par les services de l’Inventaire de défendre la nécessité d’un classement du site (la maison et l’ex-cinéma).
Le Secrétaire de l’association Gauheria poursuit : «Le jour de la réunion, au moment où j’allais prendre la parole, un appariteur a informé la commission que le Maire de Lens (André Delelis) souhaitait être entendu. On l’a fait entrer et il s’est assis juste à côté de moi.6
Pendant une demi-heure, il a développé tous les arguments possibles pour que la Maison Syndicale ne soit pas inscrite à l’inventaire supplémentaire des Monuments Historiques. Quand j’ai pris la parole à mon tour, j’ai commencé par “Monsieur le Maire de Lens a tout à fait raison quand il dit que…”, puis j’ai dû remonter la pente : j’ai surtout insisté sur la valeur symbolique et sociale du bâtiment, ne mettant en valeur que l’intérêt artistique du jardin Art-déco qui se trouvait alors dans la cour, devant la statue de Casimir Beugnet. A la fin de mon exposé, le préfet a exigé un vote (procédure rarissime). L’inscription a été acquise par 3 voix de différence ».
En 1997 et 1999, le Syndicat CGT effectue des travaux importants de restauration de la Maison Syndicale. La plus visible est la création d’une verrière au dessus de la cour. En 2004, le Syndicat CGT cède la Maison Syndicale à la Région Nord-Pas-de-Calais. Propriétaire, la Région en a laissé la gestion et l’entretien à la CALL (Communauté d’Agglomérations de Lens-Liévin).
Le bâtiment accueille maintenant un centre d’archives de l’histoire minière mais un travail de sauvegarde des archives doit y être effectué. Marcel Barrois soulignait en 2000 qu’il y était entreposé l’ensemble des numéros du journal syndical :’La Tribune’. Malheureusement, ces vieux journaux sont fragiles. Mal entreposés, à l’humidité, ils périssent.
La Maison Syndicale abrite aujourd’hui les associations «Mémoires & Cultures de la Région Minière» (créée en 1991 et dont le Président fut Marcel Barrois jusqu’à son décès) et «Gauheria» et est le siège du Pays d’Art et d’Histoire de Lens-Liévin. Des expositions temporaires y sont présentées, axées surtout sur l’histoire de la mine et des mineurs.
Le 30 juin 2011, lors d’une réunion du Conseil de la CALL, est créée une ‘Maison de Mémoire des Mineurs’ associé au projet ‘Mineurs du Monde’. Celui ci a une triple ambition : un travail de mémoire et d’archives, une prise de conscience et de mobilisation à l’international du bassin minier et une démarche de collecte de ressources pouvant permettre à chacun l’accès à cette histoire.7
Le site principal de ce projet se trouverait sur le site de l’ancienne fosse 11/19 mais la totalité des archives (contenant plus de 25 kilomètres de documents inédits) serait entreposée dans les bâtiments de la Maison Syndicale et de l’ex-cinéma du Cantin.
Quelques photos récentes de la Maison Syndicale :