En mémoire de "Papa Alfred"
Ton arrière petite fille, Catherine.
Alfred Maës, le Délégué des Mineurs
A Saint Omer, l'acte de naissance n°335 de l'année 1875 nous apprend que le 15 juillet de cette année là à 16h30, nait Jacques Alfred Wilfrand MAËS, fils légitime de Emile Fidèle Isidore Maës, 32 ans, né à Renescure (59), aide-brasseur et de Delphine Marie Declémy, 25 ans, née à Louches (62), qui se sont mariés le 27 juin 1871 à Arques (62).
Le 27 mai 1883 à Saint-Martin-au-Laërt (62), Emile Maës décède laissant une veuve et quatre jeunes enfants. Alfred (qui ne veut pas qu'on l'appelle Jacques de peur de moqueries), n'a que 8 ans et il n'a d'autres ressources que d'aller travailler aux champs avec sa mère pour subvenir aux besoins de la famille.
Dès 13 ans il est attiré par la Mine et le travail assuré et, après avoir obtenu brillamment son certificat d'études, il part travailler aux Mines de Lens où il est embauché à la fosse 2 d'abord puis à la fosse 11.
En 1895, il est appelé sous les drapeaux à l'escadron du train des équipages militaires, stationné dans la caserne Saint Ruth à Lille
Démobilisé le 20 septembre 1899, il est réembauché aux Mines de Lens, à la fosse 1 'Saint Élisabeth' cette fois. Il adhère aussitôt au 'Vieux Syndicat' d'Émile Basly et d'Arthur Lamendin. En juin 1904, il est élu “Délégué à la sécurité” à la fosse où il travaille. Parallèlement, il est aussi élu Conseiller Municipal sur la liste de son ami Basly.
La fosse 1 des Mines de Lens en 1900
Le 30 juillet 1900 à Salperwick, un petit village de l'Audomarois, il épouse Marie Irma LEBLOND, cuisinière de son état qu'il a certainement connu alors qu'elle travaillait dans l'estaminet de son père à St Omer.
Ils auront trois enfants nés à Lens :
- Marthe, Elise, Delphine née le 18 octobre 190
- Elise, née le 1er novembre 1902
- Voltaire Emile Louis MAËS né le 17 mars 1904 à Lens et décédé le 04 mars 1929 à Fort Archambault (Congo) alors qu'il y travaillait comme ingénieur agronome. Alfred Maës fit revenir la dépouille de son fils pour le faire inhumer civilement à Lens, dans le caveau familial du cimetière Est. Il ne s'est jamais remis de la mort précoce de son seul fils.
La famille habite Avenue de la Fosse 12 puis Avenue du 4 Septembre, puis enfin 20 rue Anatole France, à l'angle de la rue Victor Picard, où Marie Maës tient un estaminet. L'endroit abrite aujourd'hui une agence d'assurance. Son jeune frère Fidèle l'a suivi à Lens. Il travaille également à la fosse 1 et habite rue Bollaert avec sa femme Mathilde et ses filles Delphine et Marie.
Alfred Maës participe activement aux grandes grèves de 1906 qui ont suivi la catastrophe de Courrières. Le 16 avril, il préside une réunion devant 3000 sympathisants dans la cour de l'école Condorcet, Boulevard des Ecoles où il prêche pour l'union de tous. Partisan de la discussion plutôt que de la révolution, il déclare: 'Si la révolution éclat à l'heure actuelle, j'en pleurerai'. Bien que cette grève n'apporte pas de résultats satisfaisants pour les mineurs, elle instaure tout de même une nouveauté importante : le 17 avril, une loi rendra les allocations de retraite réversibles par moitié pour le conjoint survivant et non remarié.
Comme ses amis Basly et Beugnet, Alfred Maës est la cible des articles de presse du jeune Syndicat révolutionnaire de Broutchoux qui l'accuse surtout de n'en vouloir qu'aux cotisations des mineurs.
Dès cette époque, il se bat déjà contre la «médecine patronale» et réclame des médecins libres et non plus salariés des Compagnies minières.
Il est réélu le 7 février 1909 comme délégué à la Sécurité dans les Mines de Lens. Celles ci posent une requête en annulation devant le Conseil de Préfecture se basant sur le fait qu'en plus de son salaire de mineur, Maës exploite un estaminet. Cette requête est acceptée dans un premier temps puis rejetée en appel par le Conseil d'Etat lorsqu'il prouve que ce commerce est au nom de son épouse.
Toujours à l'écoute de ce qui se passe dans le monde, en décembre 1909, il organise avec ses amis Beugnet et Evrard une conférence à l'Alcazar de Lens au cours de laquelle intervint un membre du Parti socialiste de l'Inde anglaise, Krishna.
En 1910, il succède à Casimir Beugnet, décédé, à la tête du Contentieux des Mineurs. Il s'occupe particulièrement des accidents du travail, de l'application des conventions de retraite.
Réunion de délégués dans une fosse de Lens
Le dimanche 22 mai 1910, la Fédération Syndicale des Mineurs du Pas-de-Calais organise une grande conférence publique et contradictoire à Liévin, sur le thème de l'unité syndicale dans la région minière. Les orateurs représentant le Vieux Syndicat sont Alfred Maës, Séraphin Cordier et Léon Dégreaux, le futur Maire de Liévin. C'est le début de la réunification entre les syndicats de Basly et de Brouchoux qui sera officialisée l'année suivante.
Maës écrit dans 'La Voix du Mineur' des articles où il dénonce la main mise des Compagnies sur la médecine sociale et les médecins salariés qui les soutiennent lors des accidents du travail. Il demande que ce soit le Conseil d'Administration de la Caisse de Secours et non plus les Compagnies qui nomment les médecins.
Il défend farouchement le Docteur Hemery à qui la Compagnie des Mines de Lens a intenté un procès. C'est avec lui qu'il crée dans les mines un 'Secrétariat Ouvrier d'Hygiène' chargé d'enquêter 'librement' sur les accidents du travail et de venir en aide aux mineurs accidentés.
En 1910, toujours avec Basly, il est réélu Conseiller Municipal. Deux ans plus tard, il devient secrétaire du Syndicat des Mineurs du Pas de Calais. C'est cette année là que sont appliqués le journée de 8 heures et le repos hebdomadaire obligatoire.
Arrive alors la première guerre et l'invasion de Lens par les Allemands. Maës doit quitter sa ville car il est mobilisé au 1er escadron du Train de Bergerac le 4 octobre 1914.
Le 17 janvier 1915, il revient dans le Bassin Minier où l'Armée l'affecte comme mineur de fond à Noeux les Mines. Il réside chez son ami Henri Mailly avec lequel et Henri Cadot il réorganise aussitôt le syndicat des Mineurs qui se réunit à Bruay en Artois. Dans un tract lancé à la population minière, il n'hésite pas à écrire : 'Nous avons décidé de réorganiser les mineurs jusqu'au jour où nos régions seront débarrassées de la présence de l'ennemi.'. A lire sur ce sujet le dossier de Gauheria n°76 de mars 2011 :'Registre du conseil d'administration du syndicat des Mineurs du Pas de Calais 1916-1919' édité par Bernard Ghienne.
Malgré le conflit, il contribue à faire payer aux mineurs et à leur famille les pensions des retraites selon la loi votée le 25 février 1914 qui institue la caisse autonome de retraite des mineurs.
En avril 1916, les délégués syndicaux que sont Maës, Mailly et Cadot signent, avec l'Etat représenté par le Sous-préfet Bonnevoy-Sibour et les Compagnies Minières, une convention attribuant au mineur 5 sous par enfant et par journée de travail : petite prime, grands effets car il s'agit là de la naissance des allocations familiales !
En décembre 1916, c'est la crise du charbon, l'Etat veut augmenter la production dans les Mines. Le ministre des Travaux Publics du gouvernement d'Aristide Briand, Marcel Sembat lance un appel aux mineurs pour leur demander d'accepter de travailler jusqu'en mars 1917 une heure de plus par jour. Alfred Maës, fait une contre proposition : pour intensifier réellement la production, il propose de mettre à la disposition des mines tous les ouvriers mineurs des classes 1899, 1900 et 1901 ainsi que ceux qui ont quitté la mine avant le 1er janvier 1910 et qui justifiaient de dix ans de service au fond.
Marcel Sembat
Maës, Le Député Syndicaliste
Après la Grande Guerre, Alfred Maës reprend sa place au sein de la vie politique lensoise. En 1919 on lui propose de se porter candidat à la députation. Il hésite à se présenter. Au Syndicat des Mineurs qui désire le conserver comme secrétaire et lui propose même d'aligner ses appointements de délégué sur ceux d'un député, il répond : 'Pour moi, aucune question d'argent ne me préoccupe. Ce qui me préoccupe le plus, c'est l'intérêt général de notre corporation' (Source Gauheria n°76 cité ci dessus). Finalement, il se présente sur la liste socialiste avec Basly, Cadot, Evrard,etc... Il recueille 63.305 suffrages sur 125.137 votants. Il défendra ardemment les travailleurs de la Mine au Palais Bourbon qu'il fréquentera jusqu'à sa mort en 1941. Pour être sur place lors des sessions, il loge dans un appartement au 17 rue Gerbert dans le 15è arrondissement.
Alfred Maës pose fièrement devant l'Assemblée Nationale
En juin 1919, des pourparlers sur la question des salaires ont lieu. Les sections syndicales des mineurs du Pas-de-Calais, du Nord et d'Anzin tiennent une réunion à Béthune sous la présidence d'Émile Basly. Alfred Maës y relate les résultats obtenus lors des négociations et regrette l'attitude des Compagnies qui traînent à appliquer les décisions gouvernementales. Contre toute attente, les mineurs de Marles décident d'une grève immédiate en dehors de toute assistance de la Fédération. Ce mouvement ne sera pas légitimé par le Syndicat.
L'année suivante, il est élu président de l'Union Régionale des caisse de secours du Nord et du Pas de Calais.
Le 22 juillet 1921, lors de la séance du Conseil Municipal a lieu la délibération sur la construction d'un monument aux Morts. Les élus communistes y sont opposés . A. Maës déclare: 'Plus tard, quand nos ruines auront disparu, rien ne rappellera la guerre. Mais il faut que les générations de demain sachent ce qu'elle nous a coûté pour la haïr davantage'. La proposition d'une dotation de 100 000 francs est acceptée par 11 voix contre 5.
En janvier 1922, il assiste à la réunion au cours de laquelle les dirigeants des Compagnies Minières annoncent aux syndicats qu'en raison de la concurrence étrangère, des baisses de salaires de plusieurs francs par jour seraient appliquées. Bien entendu, les syndicats rejettent la proposition et menacent une nouvelle fois de faire grève. L'Etat prend cette menace au sérieux. Yves Le Trocquer et Daniel Vincent, les ministres des travaux publics et du travail du gouvernement d'Aristide Briand reçoivent une délégation conduite par Basly, Cadot, Goniaux, Lefebvre et Maës.
Malgré cette opposition, les compagnies diminuent les salaires horaires de 2,00 F puis de 1,25 F au 15 avril alors que le salaire moyen en janvier était de 19,25 F plus 5,25 F de vie chère soit 25,50 F; le chômage s’installe (2 jours par quinzaine).
En février 1922, Lens et les autres villes minières du Pas-de-Calais accueillent le ministre des régions libérées du gouvernement Poincaré, Charles Reibel. Ce sont Basly et Maës qui sont chargés de le diriger.
En février 1923, Alfred Maës rencontre un autre ministre, Albert Peyronnet. Il relance les discussions sur l'amélioration des retraites des mineurs et de leurs veuves. Ce débat sera discuté à la Chambre le 20 décembre.
Le 11 mai 1924, il se représente sur la liste socialiste et est réélu Député dès le premier tour avec 70.278 suffrages sur 149.106 votants
Sous la direction d'Ernest Cuvelette, l'effort de reconstruction des Mines de Lens est très important; dès 1925 la production a atteint 28 500 000 tonnes.
La fosse 2 du Grand Condé en 1925
Pour y parvenir, une convention d’émigration est signée entre la France et la Pologne. Près de 75 000 mineurs étrangers, Polonais pour la plupart, arrivent à Lens. Leurs conditions d’accueil sont pour le moins spartiates, l’État les tient à l’écart et ne leur attribue ni prime de naissance, ni droit à l’enseignement. Leur arrivée rend aussi méfiants les mineurs qui craignent une diminution de leur salaire pour les ajuster à ceux des immigrés. Maës convainc le Syndicat que ces hommes sont des ouvriers comme les autres et ont donc le droit d'être aidés et défendus. Il n'hésite pas à faire des voyages en Pologne pour confirmer l'amitié Franco-Polonaise ouvrière. En octobre, il fait partie d'une délégation de parlementaires français en visite à Wejherowo en Porémanie, près de la Mer Baltique. Sur la photo ci dessous, des enfants de Sibérie posent avec les autorités franco-polonaises.
Depuis 1919, dans l'ombre de son ami Emile Basly, il apporte sa contribution à la reconstruction de Lens. Le 14 août 1927, il inaugure avec lui la nouvelle gare des Chemins de Fer du Nord et l'Hôtel de Ville.
Son activité syndicale n'est pas de tout repos. En effet, le 15 avril 1927, en raison des difficultés économiques, les compagnies décident une nouvelle réduction des salaires de 2,60 F pour l’ouvrier base. Les syndicats se trouvent devant le fait accompli.