L’occupation par les allemands du nord de la France a privé le pays de la moitié de sa production charbonnière. Les compagnies des régions occupées depuis le début du mois d’octobre 1918 voient aussitôt l’exploitation arrêtée.
Dès les premiers jours d’occupation, l’ennemi entreprend de détruire les moyens d’extraction sous des prétextes d’ordre militaire. L’armée s’empare des matériaux et des machines et incendie les installations au sol. Dès le début de 1915, les troupes françaises et anglaises tentent de déloger les allemands de Lens, leurs obus abiment sérieusement les puits.
En septembre 1915, les troupes alliées reprennent Loos et libère la fosse 15 des mines de Lens. Devant la menace de devoir se retirer plus, les allemands décident d’anéantir totalement les moyens de production. En octobre et novembre 1915, ils dynamitent tous les cuvelages des fosses de Lens et de Liévin. Les explosions se situant au niveau dans la partie calcaire au dessus des veines de houille, ont pour conséquence d’inonder totalement les galeries.
C’est vers la fin de l’occupation que les destructions sont les plus importantes. Après avoir jeté dans le puits tout ce qu’ils ne pouvaient emporter, les soldats allemands déposent méthodiquement dans toutes les fosses des charges d’explosifs détruisant ainsi toutes les machines, les chaudières, les chevalets.
Dès l’été 1917, les compagnies du Nord et du Pas-de-Calais se regroupent pour étudier les mesures à prendre pour la reconstruction. La direction de ce groupement est confiée à Ernest Cuvelette, le directeur des mines de Lens. Avant même la fin du conflit, des pompes de dénoyage et des treuils électriques ont été commandés par Elie Reumaux, en exil en Belgique.
A la libération, on constate que tous les puits des mines de Lens et de Liévin sont totalement inondés et les installations de surface irrécupérables. Vient alors le temps de la reconstruction. Elle s’effectue avec une rapidité surprenante, au vu de l’ampleur des destructions.
Les compagnies de Lens et de Liévin entreprennent la construction de centrales de production électrique. Dans un premier temps, les deux compagnies se fournissent en électricité auprès de la centrale de Béthune où des groupes supplémentaires ont été mis en place et par la construction d’une centrale à Dourges avant de pouvoir réutiliser la centrale de Vendin-le-Viel.
L’année 1919 est consacrée au déblaiement des ruines, à la reconstruction du réseau ferroviaire, au dégagement des routes et à l’aménagement d’abris et de logements provisoires pour les ouvriers employés à la reconstruction.
Débute ensuite le dénoyage. Les compagnies ont créé la Société Civile de Dénoyage des Houillères du Pas-de-Calais. On estime à 100 millions de mètres cube le volume d’eau à enlever : des rivières sont élargies, des aqueducs provisoires sont montés.
Les cuvelages percés ne permettent pas de se contenter d’aspirer l’eau des galeries, elles se rempliraient aussitôt. Il est donc entrepris de forer autour du cuvelage des sondages verticaux et d’y faire couler du ciment très liquide. En durcissant, ce ciment entourera ainsi le cuvelage d’une gaine protectrice. Dans certains puits, ce ne sont pas moins de 1000 tonnes de ciment qui sont coulées.
Dans les galeries, des fissures permettent à l’eau de se déverser d’un puits à l’autre ne dépendant pas toujours de la même compagnie. Alors, les compagnies de Lens et de Liévin entreprennent de commencer le dénoyage simultanément. Pour cela 19 pompes sont utilisées, montées sur des chevalets en bois. Ces opérations débutent en novembre 1920.
Ces chevalets de bois permettront dès la fin du dénoyage de reprendre l’extraction avant la construction des chevalets définitifs.
Au printemps 1921, les travaux de dénoyage sont terminés et l’exploitation peut reprendre dans les galeries supérieures des puits.
Dès la libération, la société des mines de Lens entreprend la reconstruction des maisons dans les cités. Pour cela, elle ouvre sa propre briqueterie. Fin 1920, 1200 maisons sont sorties de terre et en 1925, 12 000 logements, les écoles, les églises, les dispensaires sont reconstruits.
Ernest Cuvelette a profité de ces circonstances pour moderniser l’appareil productif. Les puits sont maintenant équipés d’un grand chevalement métallique particulier aux mines du Pas-de-Calais ou d’un autre type plus modeste construit dans un matériau d’avenir, le béton armé. La grande cheminée qui caractérisait les fosses du 19ème siècle a disparu puisque la machine d’extraction ne fonctionne plus à la vapeur mais à l’électricité.
En 1925, bien que les dirigeants des compagnies prétendent que la loi adoptée le 23 avril 1919 concernant la journée de 8 heures et de la semaine de 48 heures ait considérablement fait baisser la production individuelle, le bassin minier a retrouvé son niveau de 1913. En 1928, la société des mines de Lens est la troisième capitalisation française derrière la Banque de France et Saint-Gobain. L’action qui valait 420 francs en 1913 et qui était tombée à 110 francs en 1915 en vaut 532 cette année là.
Cette histoire aurait pu être tirée d’un film, d’une pièce de théâtre ou d’un roman mais elle est réelle. Alors, découvrons ensemble qui est « l’assassin de la fosse 4 » telle que la presse de l’époque nous l’a rapportée.
En 1905, Victor Roussel se fait embaucher à la fosse 4 des mines de Lens. Il reçoit un logement dans les corons de la place Saint-Alfred. Marié à Léonie Courtin, il a deux enfants : Isabelle, 5 ans et Marius, 4 ans. Le maigre salaire de mineur ne suffit pas à nourrir toute la famille. Le couple décide en juillet 1907 de louer une chambre sous les toits à Raphaël Vanhoutte, un jeune homme qui vient également de se faire embaucher à la fosse 4.
Raphaël Vanhoutte, un gars au casier judiciaire déjà chargé, ne tarde pas à devenir l’amant de la femme Roussel.
Le 21 avril 1908 vers 4 heures du matin, un mineur se rendant à la fosse passe derrière un estaminet de la place Saint Alfred lorsque, dans le noir, il heurte un obstacle au sol. Il découvre qu’il s’agit du corps d’un homme, la tête ensanglantée et les pieds nus. Les godillots se trouvent à quelques mètres du cadavre. Notre mineur s’en va aussitôt quérir la maréchaussée.
Les gendarmes arrivant sur les lieux envisagent d’abord une rixe entre mineurs sortant de l’estaminet comme il en arrive de temps en temps lorsque le genièvre ou la bière ont coulé à flot. Cependant des traces sur le sol les incitent à penser que l’homme n’est pas mort là mais a été traîné. Ils suivent la piste qui les mène tout droit devant la maison des Roussel, au n° 12 de la place Saint-Alfred.
Ils y découvrent Léonie en train de préparer le petit déjeuner des enfants et son locataire à peine habillé enfilant ses vêtements de mineur. Lorsqu’ils demandent à la femme où se trouve son mari, elle répond qu’il a quitté la maison la veille vers 5 heures du soir et qu’il n’est pas rentré depuis. Raphaël le confirme mais des témoins, attirés nombreux par le sordide spectacle, affirment qu’à 5 heures, Victor était au fond de la mine en train de gratter le charbon.
Les gendarmes préviennent leur supérieur. Le lieutenant Coine arrive et inspecte les lieux : les sols de la cuisine et de la chambre des parents ont été lavés récemment mais quelques traces de sang sont restées. Montant dans la chambre de Vanhoutte, il soulève une couverture jetée à la hâte sur le lit et s’aperçoit que les draps sont en désordre et tachés de sang. Poussant un peu plus ses investigations, il descend à la cave et là, près du tas de charbon, il découvre une hache de mineur également souillée de sang.
Les preuves sont formelles, Victor Roussel a été assassiné ici ! Le lieutenant arrête Vanhoutte et sa maîtresse ! Les deux amants sont emmenés au poste sous la protection des gendarmes car les mineurs tentent de molester Vanhoutte, lui jettent des pierres et hurlent ‘’A mort, l’assassin !’’. Les amants seront ensuite incarcérés à la prison de Béthune.
L’enquête établira les faits. Victor, en rentrant de la mine un peu plus tôt que prévu, découvre Vanhoutte et sa femme au lit. Aussitôt une violente dispute éclate à l’issue de laquelle Victor se couche dans sa chambre avec son fils tandis que l’épouse infidèle rejoint le lit des enfants avec sa fille. Vanhoutte se retire dans sa mansarde à l’étage.
Vers minuit, Vanhoutte se lève, descend et rejoint sa maîtresse. Il lui demande comment elle envisage l’avenir. Celle-ci rétorque qu’il n’y a qu’une solution : tuer immédiatement le mari gênant mais, ajoute-t-elle, ‘’en faisant attention de ne pas blesser son fils couché à côté de lui‘’ !
Vanhoutte prend sa hache de mineur et se dirige dans la chambre, palpe les deux têtes pour ne pas se tromper et assène un coup violent sur celle de Victor. Puis, il le tire dans la cuisine où il l’achève de plusieurs coups de hache sur le crane.
Pendant ce temps, la toute nouvelle veuve tire son garçon du lit et le recouche avec sa fille. Elle demande à l’assassin de se débarrasser du corps. Vanhoutte couvre la tête du mort avec un sac pour contenir le sang, l’habille tant bien que mal et le traîne jusque derrière un estaminet puis, s’apercevant que le mort est pieds nus, retourne chercher ses godillots.
Léonie entreprend de laver les sols de sa cuisine et de la chambre. A son retour, Vanhoutte jette le sac qui a servi à couvrir la tête dans la fosse d’aisance, retire les draps tâchés du lit de Roussel et met les siens à la place. Puis le couple se recouche dans le lit où dormait il y a quelques minutes encore leur victime ! Ils sont à peine réveillés lorsque les gendarmes frappent à leur porte.
Le ‘’amants terribles’’ sont jugés le 22 juillet devant le tribunal du Pas-de-Calais à Saint-Omer.
La veuve Roussel prétend qu’elle en est arrivée à cette extrémité à cause de la violence de son mari envers elle et les enfants. Vanhoutte n’a pas d’autres excuses à faire valoir que celle de s’être laissé entraîner par sa maîtresse.
C’est le président Mourou qui prononce le verdict : Raphaël Vanhoutte est condamné à mort et Léonie à la réclusion à perpétuité.
Le 9 janvier 1909, à la prison de Béthune, quatre hommes de ‘la bande à Pollet’, des bandits d’Hazebrouck, sont guillotinés. Le même jour, alors qu’il entend les préparations pour leur exécution de sa cellule, Vanhoutte reçoit la visite du procureur de la République qui lui annonce que la veille, le président Fallière a signé sa grâce et a transformé sa peine en travaux forcés à perpétuité.
Le 13 janvier, Vanhoutte quitte la prison de Béthune pour être transféré au bagne. Un journaliste du ‘Petit Parisien’ le rencontre en gare de Lens. Il écrira :
J’ai pu voir, hier, en gare de Lens, le condamné à mort gracié, Vanhoutte, que des gendarmes transféraient de Béthune à Douai. L’assassin nous a paru considérablement déprimé. Sa constitution peu robuste a eu à souffrir du séjour de la prison. Les voyageurs qui avaient reconnu le brigand se pressaient autour de lui. Nous avons pu recueillir ses impressions : ‘’J’ai toujours espéré la clémence présidentielle. D’ailleurs, ne suis-je pas assez puni ainsi ? Me voilà déshonoré à tout jamais. J’ai fait le malheur des miens’’.
A une personne qui lui demande si, le jour où il tua Roussel, il songea aux conséquences de son acte, Vanhoutte répond : ‘’Je n’y ai jamais pensé. Je me suis déjà bien souvent demandé depuis mon incarcération pourquoi j’avais tué Roussel alors qu’il m’était si facile de vivre en compagnie de son infidèle épouse. Dès que je serai au bagne, je m’inquiéterai d’elle et lui écrirai. Je m’attacherai à me bien faire considérer pour obtenir quelques faveurs’’.
Petite-fille de Monsieur Abel BIERVOIS., décédée le 15 juin dernier à l’âge de 67 ans, madame Maryse Chopin m’avait fait parvenir un historique de l’entreprise qu’avait créée son grand père avec mission de le diffuser dans mon blog. Voici donc l’histoire de l’une des plus anciennes entreprises de transport en commun lensoise.
Le 23 octobre 1891 à Illies, près de La Bassée, nait Abel Henry Joseph Biervois d’un père mineur et d’une mère ‘journalière’.
Appelé volontaire en 1909 à l’âge de 18 ans, Abel Biervois est mobilisé lors de la première guerre mondiale. Il en revient gazé et handicapé à 60%. Après la guerre, son père quitte le travail au fond pour les chemins de fer des mines et rejoint Lens. Il finira sa carrière comme chef de la gare de Sainte Elisabeth où, près de là, son épouse tient un estaminet sur la route de Béthune.
Peu de temps après l’armistice, Abel Biervois obtient une licence de Transport et Déménagements et achète une épave aux domaines qu’il remet en état. Il se lance dans la livraison de charbon, métier pour lequel son fournisseur est bien sur, la société des mines de Lens.
Rapidement, son activité se développe et il participe activement à la reconstruction de la ville de Lens. Outre le transport de charbon, de carrelages, de sable qu’il va charger sur les berges du canal, il achemine également les pavés pour la reconstruction des rues de la ville. On le voit également dans les cimetières militaires de la région où il livre les pierres tombales des soldats ainsi que du côté de Loison-sous-Lens où son entreprise est chargée du transport des maisons de bois de la cité hollandaise. Sur le boulevard des Ecoles (bd Basly aujourd’hui), il ouvre un café.
Au début des années 1920, Abel Biervois se lance dans le transport des voyageurs et achète son premier autocar de marque Packard. Il organise des excursions à Notre-Dame-de-Lorette, au monument canadien de Vimy mais aussi à Lisieux ou au Mont Saint Michel. Le siège de l’entreprise se trouve alors au 30 boulevard Basly.
Membre fondateur du Racing Club Lensois, il achète un second autocar : un Panhard grand luxe avec lequel il assure les déplacements des joueurs Sang et Or.
En même temps, il est avec Aimé Westeel et Léon Gavois, l’un des tous premiers à assurer des lignes régulières au départ de la nouvelle gare de Lens.
Puis il achète un bâtiment sur la route de Béthune où il installe les Garages Biervois. En 1939, il possède 18 autobus qui seront tous détruits par les bombardements.
Pendant la guerre, Abel Biervois entre dans la Résistance, il est membre du Comité Départemental Clandestin auprès de Louis Albert. Pour ses actions, il est décoré de la Croix de Guerre et de la médaille de la Résistance.
A la fin du conflit, il relance son entreprise. Pour remplacer ses autocars, il achète des châssis aux domaines qu’il rénove.
Lignes régulières, transport de scolaires, de mineurs, d’ouvriers d’usine, il travaille aussi pour la mairie de Lens pour qui il transporte l’Harmonie Municipale et les personnes âgées.
Les HBNPC lui confient également les mineurs et leurs familles pour les transporter vers les centres de loisirs en Bretagne, sur la Côte d’Azur ou encore à l’hôtel Régina de Berck.
En 1960, il assure le premier voyage de l’Association de Loisirs des Mineurs à destination des Baléares. Il travaille aussi avec l’église pour qui il organise des voyages à Lourdes, Rome et même Jérusalem sans oublier les transports assurés pour les vendangeurs à destination de la Champagne ou ceux des supporters du RC Lens.
En 1963, Abel Biervois cède son entreprise à ses deux filles, mesdames Maréchal et François qui la scindent en deux entités distinctes. L’époux de Madame François, lieutenant des pompiers de Liévin, prend la direction des Voyages Biervois, en fait une société anonyme et achète un terrain à Liévin sur l’avenue Jean Jaurès. Il y installe les locaux de direction, une agence de voyages, un garage et un atelier. L’entreprise est alors composée de 20 autocars, 10 bus urbains et 10 cars de grand tourisme, elle emploie 37 personnes.
Lors de jeux Olympiques de 1968, Les Voyages Biervois sont sollicités pour participer au service des transports dans Grenoble, lieu de compétitions pendant toute la durée des jeux.
En 1970, l’agence de voyages Biervois lance une nouvelle formule de voyages « tout compris » par autocar au départ de toute la région Nord – Pas-de-Calais à destination de Rosas sur la Costa Brava et de Nidershill en Autriche. Ces voyages qui sont accessibles à toutes les familles pour un prix modique remportent un énorme succès durant de nombreuses années.
En 1972, la municipalité lensoise crée la SUL (Service Urbain Lensois). Les dessertes sont assurées par les transporteurs Biervois, Baudart, Westeel et des Transports en Commun Lensois. Les transports Biervois reprennent les lignes entre Lens, Lille et Arras assurées auparavant par les bus ‘Citroën’.
En 1977, Abel Biervois, le fondateur de la société est décoré de la Légion d’Honneur.
En 1979, l’Agence Biervois se lance dans une nouvelle aventure : le transport aérien. Associé à la compagnie espagnole Spantax, elle assure au départ de Lille-Lesquin un voyage hebdomadaire à destination de Palma de Majorque aux Baléares. Puis, avec la compagnie nationale polonaise Lot, ce sont des voyages hebdomadaires vers Poznan ou Varsovie qui sont proposés.
En 1981, le fondateur de l’entreprise diverse ses activités en créant la SCI Abel Biervois, une société immobilière basée route de Béthune.
En 1983 après le décès de Jules François, directeur de la société, son épouse reprend l’entreprise. En collaboration avec le comité d’entreprise des HBNPC, sont organisés des séjours de deux semaines aux Balléares ou au château d’Agecroft à La Napoule.
En 1985, l’année du décès d’Abel Biervois, on voit apparaître à nouveau deux nouvelles sociétés : Biervois BV Tour et Agence BV Tour.
Suite à la fermeture des unités de production textiles et minières, les marchés du transport s’amoindrissent et les transports en commun souffrent. Pour Biervois, les conséquences sont lourdes. Alors qu’elle était en pleine expansion, la crise a des conséquences sur la trésorerie et a met en cause la pérennité de l’entreprise. Deux grèves particulièrement dures des employés l’atteignent suite à sa décision d’en licencier près de la moitié.
L’entreprise posséde alors 6 autocars de luxe, plus de 50 autres véhicules pour les transports urbains et de tourisme et des biens immobiliers avec les locaux, le garage et l’atelier de Liévin.
Lâchée par ses anciens amis, par les politiques locaux, mais aussi mal conseillée, madame François-Biervois cesse l’activité des sociétés. Le Tribunal de Commerce nomme un administrateur chargé des opérations de dissolution et de liquidation.
Les biens et l’exploitation des lignes urbaines et inter-urbaines de la société Biervois sont repris (pour 0 franc) par GTI Transports et gérés par une filiale, la ST2L, société des transports de Lens-Liévin.
La reprise ne concernant que les lignes, les locaux et le stock constitué des autocars mais pas le passif de la société contrairement à ce qui a été fait pour d’autres transporteurs locaux, madame François-Biervois et mademoiselle Maryse Chopin, sa fille, ayant investit toutes leurs économies dans l’entreprise et s’étant portées caution des emprunts, sont ruinées.
Laissons à Maryse Chopin la conclusion : « Cette histoire est bien réelle et j’ai voulu la raconter succinctement. La société d’Abel Biervois , c’est un personnage historique lié à la nation, de la grande guerre 1914/1918, de celle de 1939/1945, un grand résistant, un des pionniers du transport en commun de la région Nord-Pas de Calais ; c’est une société de transports en commun et d’agence de voyages qui a fait vivre pendant des décennies des salariés, qui a fait voyager des millions de personnes, d’ouvriers, de mineurs ; c’est une famille qui s’est investie dans un métier avec beaucoup de disponibilité et de dévouement. Le nom Biervois reste à jamais gravé comme étant l’un des pionniers du transport en commun par bus et par autocar dans le cadre de l’activité de tourisme de la région et notamment de l’agglomération de Lens-Liévin. C’est donc cette vérité que j’ai voulu rétablir afin que le nom BIERVOIS retrouve sa véritable place ».
B014
En 1952, Gustave Montaigne a 72 ans et vit à Haisnes avec son épouse Elisa. Après 52 ans passés à la mine, il coule une retraite paisible dans un coron de la fosse 6 des mines de Lens mais, toujours passionné par ce qui fut son métier, se rend encore parfois sur ses anciens lieux de travail.
Fils de mineur, petit-fils et arrière petit fils de mineurs, gendre de mineur, pères de mineurs : pendant 100 ans, une dizaine de membres de sa famille a travaillé à la mine. En totalisant le nombre d’années de chacun, on arrive au chiffre de 1075 ans !!
Le premier mineur de la famille est … lillois, le père Toursel. Forgeron de métier, il battait le fer dans une fabrique de toiles de la banlieue lilloise, c’est ce qu’on appelait à l’époque un ‘daubeur’.
Sans emploie en 1852, il apprend qu’on cherche du personnel dans les mines et rejoint la compagnie lensoise. Surnommé ‘Toursel le daubeur’, il trouve un emploi de forgeron aux ateliers, près de la fosse 1. Il fabrique et répare les pics des mineurs.
Sa fille Henriette épouse un mineur de la fosse 1, Louis Montaigne. Ancien tourneur sur bois, il a remplacé les gouges par le pic de mineur.
Louis Montaigne, premier du nom et Henriette eurent 5 enfants :
- Louis fils embauché comme galibot en 1869 à la fosse 2 du Grand-Condé (il finira sa carrière comme porion à la fosse 11 en 1910).
- Eugène, 40 ans au fond de la mine.
- Henri, mineur pendant 42 ans
- Emile qui, après 26 ans au fond démissionna pour s’engager dans la compagnie des sapeurs-pompiers de Lens
- Maria, la dernière qui épousa Emile Baroux, mineur pendant 25 ans.
Louis, second du nom eut à son tour 3 enfants : Gustave donc né le 29 février 1880 ; Hélène, dont le mari, Marc Péronnet, ancien galibot également, a pris sa retraite comme ingénieur divisionnaire après 48 ans de service et Louis (3ème du nom), embauché comme galibot en 1893 et qui terminera ingénieur au service des plans en 1945.
L’épouse du troisième Louis, Augustine Selliez, descend également d’une lignée de mineurs dont le grand-père, Charles-Henri travailla plus de 40 ans au fond de la mine de Douchy, près de Denain.
En 1893, la famille de Gustave Montaigne habitait Vendin-le-Vieil. Gustave est embauché comme galibot à la fosse 7 située à Wingles. Tous les matins, après s’être levé à 4h30, il rejoint à pied le carreau où il prépare sa lampe et celle de son porion car Gustave est ‘galibot de porion’, une sorte de secrétaire de l’agent de maîtrise. A 6h00, ils descendent ensemble au fond. Là, le rôle de Gustave est de suivre pas à pas son chef et de noter sur un carnet toutes les observations du chef. A 14h00, c’est l’heure de la remonte mais Gustave ne quitte pas le carreau pour autant car il doit encore recopier sur un cahier propre tous ses écrits du fond.
A 14 ans et demi, Gustave ‘prend du galon’, il n’est plus galibot, trop vieux pour ça ! Il passe au chargement et roulage des berlines de charbon. Deux ans plus tard, il est bowetteur (mineur affecté au creusement d »une galerie) mais doit quitter Wingles pour travailler à la fosse 11 située à la limite entre Loos-en-Gohelle et Lens.
Suivant parallèlement des cours du soir, le gamin, repéré par ses chefs, est inscrit au concours d’entrée à l’école des mines de Douai. Il termine premier sur 80 candidats. A 21 ans, il sort second de l’école et comme il est passionné par le dessin, il veut être géomètre. Mais deux nouvelles années au fond sont d’abord nécessaires et ce n’est qu’à 25 ans qu’il rejoint le service des plans aux grands bureaux des Mines, rue Bollaert.
Détaché un moment à la Faculté de Lille pour y établir des relevés topographiques du bassin houiller, il gravit tous les échelons pour terminer sa carrière à 64 ans comme ingénieur en chef du service des plans des mines de Lens.
Gustave Montaigne a eu deux fils : Léandre, comptable mais aux mines de Lens, bien sur et Marc qui est devenu chimiste dans une société privée travaillant pour … les mines de Lens.
La passion de Marc est la sculpture. Une de ses œuvres est bien connue des habituées de l’église Saint Wulgan de la cité du Grand-Condé à Lens. C’est en effet lui qui sculpta et offrit en 1935 la statue de Notre dame des Mines.
L’œuvre de Marc Montaigne est la reproduction à l’identique de la statue de Notre-Dame des Mines située sur le toit de la chapelle de l’ermitage Saint-Julien-des-Causses, près d’Alès.
Sur le socle de la statue de Marc Montaigne sont gravées des scènes de la mine à différentes époques. La statue de Notre Dame des Mines est toujours visible dans l’église de la cité 2 où elle pose auprès de Saint Wulgan.
Le mardi 27 janvier 2015, l’église du Millenium de Lens est classée monument historique. L’occasion de revenir sur sa construction.
En 1919 un baraquement en bois est construit route de Béthune sur un terrain en face de la fosse n°1 des mines de Lens. Appelée d’abord chapelle St Edouard (pour remplacer l’église de la cité de la fosse 12 en ruine), cette construction sert aussi de lieu de culte jusqu’à la reconstruction de l’église Saint Léger.
A partir de 1923, la chapelle reçoit le nom de Sainte Élisabeth et est remise en état par la communauté polonaise. Les messes y sont célébrées en français et en polonais.
Au début des es 60, le besoin d’une église purement polonaise à Lens se fait sentir. C’est le père Przybysz qui officiait dans la paroisse dans les années 40/50 qui est à l’initiative de la construction de l’église : la chapelle devenant de plus en plus vétuste et risquant à tout moment de s’écrouler.
Le prêtre fait bâtir une salle près de la chapelle pour les activités culturelles des paroissiens, mais aussi avec l’idée qu’elle serve provisoirement de lieu de culte au cas où la construction d’une nouvelle église se concrétise.
C’est alors que le comité national polonais du Millénaire décide de construire une église symbolisant le millénaire de la chrétienté polonaise. Lens, bastion de la polonité du bassin minier du nord de la France, est choisi. Les décisions du comité national sont accueillies avec enthousiasme. La communauté polonaise de Lens crée un comité de soutien pour la construction de l’église et chaque polonais du bassin minier et même du monde entier, dans la mesure de ses moyens participe à la réalisation de ce projet pharaonique. 150 millions d’anciens francs sont rassemblés pour financer le chantier.
Les pères Czajka et Lewicki ainsi que Messieurs Kwiatkowski père et fils, directeurs successifs du journal polonais Narodowiec (voir ici : sont les principaux artisans de la construction.
En 1965, la chapelle est rasée et l’année suivante (année du millénaire de la Pologne catholique), la première pierre de l’église est posée. Le dimanche 16 avril 1967, avec la consécration de l’église, c’est l’ensemble de la communauté polonaise de Lens mais aussi de tout le Bassin Mineir qui est à l’honneur.
L’histoire complète de la construction de l’église du Millenium est relatée par Henri Dudzinski dans le dernier numéro de la revue Gauheria que l’on peut se procurer sur le site de l’association : http://gauheria.canalblog.com/
Avec l’église du Millenium, la ville de Lens compte aujourd’hui quatre monuments historiques avec la gare, la maison syndicale et les grands bureaux des mines (aujourd’hui université Jean Perrin).
Non, je ne suis pas devenu supporter du LOSC, je resterai à jamais Sang et Or. Mais un message de mon neveu Gilles m’apprend qu’il existe à Seclin, au sud de Lille, un édifice appelé ‘le fort Duhoux’. Il n’en fallait pas plus pour attiser ma curiosité. Qu’est ce que ce fort ? Pourquoi porte t-il mon patronyme ?
Le fort Duhoux :
C’est après la guerre de 1870 contre les prussiens que la France décide de renforcer ses systèmes de défense. Raymond Séré de Rivières, directeur du service du Génie au Ministère de la guerre, propose de construire une ligne fortifiée allant de Dunkerque à Nice ‘’en tenant compte des conditions de la guerre moderne’’ et qui doit à la fois empêcher une offensive ennemie et permettre le déplacement rapide des troupes par des redoutes reliant les forts entre eux.
Sa proposition sera approuvée le 17 juillet 1874 et cette ligne de défense portera son nom.
Autour de Lille est créée une ceinture de six forts, dont un à Seclin. Ils sont placés à plusieurs kilomètres des villes pour mettre les citadins à l’abri des bombardements.
On donne au fort de Seclin le nom de ‘Duhoux’. Sa construction nécessite 12000 hommes et est achevée en 1875 à l’emplacement d’un ancien camp gallo-romain. D’une surface de cinq hectares sur une emprise de 17 hectares, il est entouré d’un fossé large de 8 mètres. A demi enterré et symétrique, il est doté de nouveaux systèmes de défense et d’un pont escamotable.
Il comporte aussi une boulangerie et une infirmerie. Lors de sa construction, il peut loger un millier de soldats avec leurs chevaux.
Mais, en 1914, les défenses du fort sont déjà dépassées en comparaison de l’armement allemand et le fort ne peut se défendre contre l’invasion d’un régiment bavarois dès le début de la première guerre mondiale. Les allemands resteront tout le temps de la guerre avant d’être délogés par les troupes anglaises le 17 octobre 1918.
Au début des années 30, le fort, vide de toute activité militaire devient le refuge de … naturistes. Les adeptes de la nudité absolue s’y retrouvent pour pratiquer le sport à l’abri des regards indiscrets. Parmi eux, Christiane Lecocq qui créa la Fédération Française de Naturisme.
Dès le début de la seconde guerre mondiale, le nord de la France est de nouveau occupé. Les Allemands reprennent possession du fort et le transforment en prison. De nombreux résistants y sonnt incarcérés, torturés et même fusillés. Ainsi, ces résistants du mouvement ‘La Voix Du Nord’ qui sont passés par les armes le 7 juin 1944 par les soldats du IIIème Reich.
Ce réseau regroupait les différents groupes de résistance de la zone interdite et fit paraître 66 journaux clandestins dès 1941. Dans le cimetière d’Ascq se trouve un monument portant cette inscription : « A la mémoire des résistants du mouvement V. D. N. fusillés par les Allemands le 7 juin 1944 au fort de Seclin ».
A la Libération, le fort reste d’abord une prison et devient l’annexe de la prison de Loos-les-Lille. Cette fois, ce sont les collaborateurs qui y sont incarcérés. En 1965, l’Armée reprend possession du Fort Duhoux et l’utilise comme dépôt de munitions ou camps d’entraînement. L’activité dans ce site diminue peu à peu jusqu’à ce qu’il ne soit plus utilisé par les militaires au cours des années 80. En 1989, le fort n’est plus attaché au ministère des Armées et est laissé totalement à l’abandon, disparaissant sous la végétation, occupé par des marginaux qui dégradent les bâtiments lors de rave-parties.
Objet de différents entre l’Armée et la commune de Seclin, ce sont finalement des particuliers qui l’achètent en 1996 pour le restaurer. Il est alors aujourd’hui le seul exemple de fort de la défense de Lille encore en état.
Depuis octobre 2003, ses propriétaires, la famille Boniface, y ont ouvert un centre historique sur l’artillerie, la cavalerie et l’infanterie de 1870 à 1920. Le Fort Duhoux abrite un musée consacré à la Grande Guerre et de nombreuses pièces d’artillerie avec une collection d’armes, de selles, de harnachements et de véhicules hippomobiles, ainsi que des souvenirs du général Deffontaines, premier général mort au combat en 1914. Des animations et reconstitutions historiques y ont lieu régulièrement.
Charles Duhoux
C’est donc le Général Charles Duhoux, de son vrai nom Charles François Duhoux d’Hauterive qui donna son nom au fort. Il est né le 13 août 1736 à Nancy. Sa carrière militaire débuta sous la royauté et se termina dans une armée républicaine.
Fils d’un lieutenant des gardes du duc de Lorraine, il s’engage le 1er février 1746 à l’âge de 10 ans aux milices de Lorraine créées par Louis XV. Après la dissolution de ces milices, il intègre le 21 novembre 1752 le régiment des volontaires royaux où il est nommé lieutenant en 1756 puis capitaine en 1761, année où il également fait chevalier de Saint-Louis. Il fait la campagne du Hanovre de 1757 à 1762 et est nommé capitaine le 23 mars 1763, il quitte alors l’armée en 1768.
Il reprend du service dans les troupes royales après le sacre de Louis XVI en 1774. Il est alors lieutenant-colonel attaché à la légion de Lorraine, puis au corps des dragons. Après la Révolution Française, il jure loyauté à la République et est promu général de brigade en 1791 puis général de division.
Le 20 avril 1792, l’Assemblée Législative et Louis XVI déclarent la guerre au «roi de Bohême et de Hongrie». En service à l’armée du Nord, il rejoint d’abord Reims puis prend le commandement des forces françaises à Lille lors du siège de cette ville en 1792. Le siège débute le 29 septembre ; la ville de Lille est bombardée, incendiée, 2000 maisons sont détruites. Mais, à bout de munitions et sous la pression des armées révolutionnaires. les autrichiens doivent lever le siège le 8 octobre.
Le 10 octobre 1792, accusé d’avoir abandonné avec ses hommes la ville de Reims, il est suspendu de ses fonctions pour connivence avec l’ennemi. Reconnu innocent et acquitté le 15 mars 1793, il est réhabilité.
Détaché à l’armée révolutionnaire de l’Ouest chargée de combattre l’insurrection vendéenne, il est blessé deux fois en 1793 à Chemillé puis à Saumur.
Le 20 septembre 1793, à la tête des forces républicaines, bien qu’à la tête de 25000 hommes, il est battu à la bataille du Pont-Barré, par les troupes vendéennes composées de 3000 soldats et dont un des généraux se nomme Pierre DUHOUX. Ce sera sa dernière bataille.
De nouveau soupçonné de trahison et d’avoir volontairement laissé la victoire à celui qu’on pensa être son propre neveu (alors qu’il n’est que le fils d’un de ses cousins), il démissionne le 30 septembre 1793 et retourne en Lorraine. Mais le Comité de Salut Public le fait arrêter à Nancy pour trahison. Le général Charles Duhoux est incarcéré à la prison de l’Abbaye à Paris.
Il sera finalement libéré et mis à la retraite en avril 1795. Il mourra à Paris quatre années plus tard à l’âge de 63 ans non sans avoir fait de nouveau parlé de lui en devenant l’un des chefs des sections … royalistes dans l’insurrection du 5 octobre 1795.
Pour sa victoire lors du siège de Lille de 1792, Charles François Duhoux d’Hauterive donnera donc son nom au Fort de Seclin.
A noter que son ennemi du Pont-Barré, Pierre Duhoux était retranché sur l’ile de Noirmoutier quand, le 3 janvier 1794, les troupes républicaines s’emparèrent de l’île. Fait prisonnier, il fut condamné à mort et fusillé le 7 janvier sur la place d’Armes de Noirmoutier en l’Ile. Avec lui, son beau-frère, le général d’Elbée qui, gravement blessé et ne pouvant se déplacer, fut fusillé dans son fauteuil.
Aujourd’hui lorsque je suis sur la place de la Gare (que je n’arrive toujours pas à appeler place du général De Gaule) à Lens, je ne peux m’empêcher de regarder ce qui reste de l’Apollo : une façade aux fenêtres murées, laide, délabrée, décrépie, triste avec derrière, un terrain vague dont il semble que l’on ne sait pas vraiment quoi faire. Alors, c’est avec nostalgie que je me replonge au tout début des années 70 lorsque le cinéma était la principale distraction dominicale des jeunes lensois que nous étions…
Un dimanche après-midi sur place de la gare de Lens. On arrive de partout, on se regroupe par bande, par amitié, par amour aussi. On discute, on rit, on fume comme des grands que nous pensons être.
Nous sommes devant le cinéma Apollo au tout début des années soixante-dix. Nos copains ne nous ont pas donné rendez-vous mais on savait qu’ils seraient là. Pas besoin de SMS, de mail pour se rejoindre, c’est l’habitude et surtout l’amitié qui nous réunit.
Chacun est venu de son coron : du 4, du 9, du 11, du 12, du 14 et même de Liévin ; parfois en bus, plus souvent à pied car en 1970, quand on a 18 ans et même un peu plus, il n’y a n’a pas de voiture dans notre monde.
Pour nous, l’Apollo c’est notre sortie du dimanche. Un autre cinéma vient d’ouvrir pas loin, rue de Paris, le Colisée. Mais nous, quand on dit ‘’on va au cinéma’’, c’est toujours à l’Apollo, c’est plus populaire. Quant au Cantin de la rue Emile Zola, on n’y pense même pas, ce n’était pas notre quartier.
La séance à l’Apollo va débuter vers dix-huit heures de manière à permettre à ceux qui sont allés ‘’au match’’ d’être à l’heure pour le début. Ce n’est pas loin, Bollaert, mais il y a du monde depuis que notre équipe du Racing est revenue parmi les grandes de deuxième division.
‘’Tout le monde est là ? Untel ne vient pas ? – Non, il travaille cet après-midi’’. Dans notre univers qui semblerait aujourd’hui surréaliste, tout le monde travaille à 18 ans et parfois même le dimanche.
Les études, le BAC, ce n’est pas pour nous, enfants des corons. Les plus chanceux ont eu le BEPC ; les autres sont au boulot depuis déjà plusieurs années. Mais pas à la mine, on n’embauche déjà plus depuis un certain temps. Pourtant, on n’imagine pas Lens sans le charbon bien que des bruits annoncent la fermeture prochaine de la fosse 1, la première construite par les Mines il y a près de 150 ans.
Mais aujourd’hui, ce n’est pas notre préoccupation : de toute manière, du boulot, il y en a partout. Le mot ‘chômage’ n’existe pas en 70 : il n’est pas rare de voir un garçon ou une fille quitter l’école le jour de ses 16 ans pour être au travail le lendemain. Pas besoin d’années de formation ou d’apprentissage, le boulot, il l’apprendra sur-place, dans la boite, avec les anciens.
Mais aujourd’hui, c’est dimanche et le dimanche, nous allons au cinéma.
Cette fois, tout le monde est arrivé. Les grilles s’ouvrent, on entre dans l’immense hall. L’un de nous est désigné, c’est son tour de faire la queue. Chacun lui donne un billet ou une pièce de 5 francs pour régler sa place. Quand il arrive devant la dame enfermée dans sa cage de verre, il peut saliver devant les plateaux de bonbons, cacahuètes et autres friandises présentés bien en évidence.
‘’Dix parterres, s’il vous plait Madame’’. Nous, on prenait des parterres, en bas de la salle pas loin de l’écran, les places les moins chères. D’autres groupes étaient plutôt ‘balcon’. Mais, nous, c’était toujours ‘parterre’. L’Apollo, à la fin des années 60, ce n’était qu’une salle, une grande salle de plus de 2500 places.
On s’installe pour la première partie, une ouvreuse nous a désigné nos places mais on savait déjà où aller : l’Apollo, on connait bien maintenant ! Actualités, court-métrage ou dessin animé et pour finir, les réclames de Jean Mineur avec ce petit bonhomme bien de chez nous qui n’arrivera donc jamais à lancer son pic dans le ‘1000’ de la cible. Encore un clin d’œil à la mine, cette mine présente chaque jour dans notre vie, dans notre quartier, dans nos familles ….
C’est l’entracte. C’est l’heure d’aller allumer une cigarette dans le hall et de profiter de ces friandises vues à la caisse. On choisit ce qui est le moins cher. Certains prennent un ‘ski’, un esquimau en français. Pour d’autres, ce sera le paquet de cacahuètes qu’ils dégusteront pendant le film sans penser aux dames qui demain, devront ramasser toutes les épluchures sous les sièges.
Puis ça recommence : le grand film. Une heure trente à regarder des images en couleur lancées sur l’immense écran par ce faisceau lumineux provenant du fond de la salle. ‘L’enfant sauvage’, ‘Borsalino’, ‘Les Choses de la Vie’, ‘le Boucher’, ‘le Mur de l’Atlantique’ ,’Le Clan des Siciliens’ ou ‘Hibernatus’. Gabin, Jean Yanne, Bourvil, De Funès, Montant, Annie Girardeau, Romy Schneider, Belmondo, Piccoli et j’en passe….
La salle est silencieuse mais parfois des énergumènes poussent des cris ou se chamaillent. Ça ne dure pas longtemps car ils sont rapidement rappelé à l’ordre pas ce monsieur qu’on ne voit pas arriver dans le noir. Son rôle est d’assurer la tranquillité des spectateurs et d’éviter les chahuts. Son attitude force le respect et personne n’osera jamais le provoquer. Le faisceau lumineux de sa lampe s’allume sur le fautif. Un seul regard, un seul mot de lui et le silence revient.
Vingt heures, le film est fini. On sort. Certains repartent à pied, d’autres prennent le bus juste en face. Ceux là croiseront ce brave homme, figure incontournable de la place de la Gare, et auront droit à un chouchou qu’il tirera à l’aide d’une pince de son panier en osier accroché au cou.
En groupe, bras dessus-dessous pour les couples, nous longeons la rue de la Paix puis traversons le Boulevard Basly que nous descendons vers le carrefour Bollaert.
La destination : l’arrêt obligatoire de toute l’équipe au n°118, au ‘Basly’ le café de Monsieur Pénin. Le petit café est toujours plein comme un œuf le dimanche soir.
Menthe à l’eau pour les filles ou même demi-pression comme pour les garçons. Dans l’atmosphère enfumée de nos paquets de Royales Menthol ou de Françaises, certains flirtent, d’autres se disputent des parties de baby-foot ou essayent de ne pas faire ‘tilt’ sur l’assourdissant flipper. Dans le brouhaha, on essaye de se faire entendre au son des tubes de Claude François, de Johnny, des Beatles ou de Polnareff que diffuse un juke-box qu’alimentent nos pièces de vingt centimes.
Puis tout le monde se sépare. Quelques uns achèteront un paquet de frites à la baraque près du carrefour Bollaert pendant que les autres rentreront directement chez eux ou raccompagneront leur copine ou leur fiancée. A pied bien sur ! Ces quelques kilomètres nocturnes les aideront à s’endormir avant de reprendre le boulot le lendemain, chacun de son côté.
Mais déjà ce soir, tous sauront que dimanche prochain, il se retrouveront tous ensemble vers dix-sept heures … devant l’Apollo.
C’était à Lens … au début des années soixante-dix.
Aujourd’hui, lorsque les touches de votre clavier inscrivent sur la page d’accueil de Google les mots ‘jardin public de Lens’, les liens qui apparaissent vous envoient vers le parc de l’université Perrin, les anciens grands bureaux des mines.
Or pour beaucoup de lensois, le jardin public, le vrai est celui qui se trouve entre le carrefour Bollaert et le Pont Césarine et que certains appellent maintenant ‘le square Chochoy’ alors qu’aucune décision officielle ne lui ait jamais donné ce nom.
Le jardin public laisse pour beaucoup de lensois et de lensoises le souvenir du lieu où l’on flânait, rarement seul, souvent bien accompagné et où l’ont s’asseyait sur les bancs publics ‘en se fichant pas mal du regard oblique des passants honnêtes’.
Voici l’histoire du jardin public de Lens.
Du relais de poste aux pépinières
Dans la première moitié du 19ème siècle, à la croisée des chemins de Liévin à Lens et d’Arras à Lille, à l’ouest des remparts de la ville de Lens dans le quartier Saint Laurent se trouvait un relais de poste aux chevaux et une auberge installés dans une ancienne ferme entourée de champs.
Aussitôt sa constitution en 1852, la Société des Mines de Lens achète de nombreuses parcelles dans le secteur et devient propriétaire des bâtiments. Elle transforme les locaux et y installe ses bureaux centraux et un logement pour son directeur, Edouard Bollaert.
A la fin du siècle, un plus grand édifice est construit quelques centaines de mètres plus au nord et les services centraux de la compagnie minière y déménagent. L’ancien relais est abandonné.
Après la première guerre mondiale, Arthur Choquet (1875-1951), ancien élève de l’École nationale d’horticulture de Versailles est nommé chef des jardins et plantations de la compagnie minière avec le grade d’ingénieur horticole. Afin de produire les arbres, arbustes et autres plantations nécessaires à l’ornement des cités, des gares, des parcs et des jardins, il propose à Edouard Bollaert de créer une pépinière avec des grandes serres à l’emplacement de l’ancien relais où les effets de la guerre ont tout détruit. C’est à l’époque un site privé dont l’accès est interdit au public.
Ces pépinières sont encore exploitées par la société des mines de Lens lorsque la seconde guerre mondiale éclate. Les murs qui entourent le site en rendent la vue impossible de l’extérieur.
Le Jardin de la Pépinière
Lors de la nationalisation des compagnies de charbonnages en 1946, les HBNPC décident d’abandonner la pépinière. Un accord verbal est conclu entre les Houillères et la municipalité d’Auguste Lecœur. Celle-ci décide d’aménager le secteur quasiment détruit par les bombardements pour en faire un espace public de promenade et dénomme le lieu ‘Jardin de la Pépinière’. Voici ce qu’en dit le maire de Lens d’ l’époque : « Notre jardin public : Réalisation obtenue grâce à la volonté et aux démarches municipales, notre jardin public est vite devenu un lieu de promenade pour les lensois. Ses parterres et ses allées fleuris font l’admiration des nombreux visiteurs.
Ceux qui critiquaient notre initiative parce que paraît-il, les gens allaient tout démolir sont bien obligés de convenir que les lensois aiment leur jardin et même qu’ils le surveillent. Le bac à sable qui fait la joie des tous petits, le terrain de jeu avec ses balançoires, ses cordes à pas-de-géant qui font le bonheur des bambins sont également grandement appréciés par les mamans qui peuvent surveiller leurs petits loin de la poussière et des voitures de la rue.
Et le coin des vieux n’est pas le moins fréquenté. Les jeux de boules installés par la municipalité ont de nombreux adeptes et les manilleurs y passent des après-midis agréables. C’est là une des réalisations dont nous pensons avoir le droit d’être fier ».
Alors, allons faire un tour dans le jardin de la Pépinière en 1946 :
Cela n’empêche par Auguste Lecœur d’être battu aux élections municipales de 1947. En 1949, l’équipe de son successeur, le Docteur Ernest Schaffner adopte la proposition de ce dernier de louer le Jardin de la Pépinière aux HBNPC en vue de régulariser la situation juridique de ce terrain. Le bail est signé pour 18 ans pour un loyer d’un montant d’un franc par an.
La municipalité déclare dans un bulletin de 1953 avoir encore amélioré le jardin de la Pépinière en « ouvrant le jardin public sur la voie publique par l’exécution d’une clôture grillagée et d’une porte donnant sur la voie d’accès au stade Bollaert ». Elle ajoute : « Cette réalisation a amélioré l’aspect du carrefour et permet aux usagers de la voie nationale 25 à grande circulation d’admirer les parterres et plantations du jardin ». Elle précise que ces travaux ont été entièrement réalisés par les employés municipaux.
Déménager ou modifier ?
Au début des années 60, la circulation automobile au niveau du carrefour Bollaert oblige la municipalité à prendre des dispositions. Elle envisage l’ouverture d’une seconde voie en direction d’Arras et de Liévin et donc de revoir les plans du secteur. Elle adopte le projet d’Ernest Schaffner de déplacer le jardin public près du pont de Douai sur le site de l’ancienne piscine, détruite lors des bombardements de la seconde guerre mondiale.
Après le décès brutal du Docteur Schaffner en septembre 1966, André Delelis, le nouveau maire fait enterrer ce projet. Le jardin public restera au carrefour Bollaert. Pour élargir la chaussée, il est alors décidé de rogner sur le trottoir et de créer à la place une allée entre les arbres et le jardin lui-même.
Le bail avec les HBNPC étant arrivé à expiration, un nouveau est signé le 1er janvier 1967 pour une location annuelle renouvelable par tacite reconduction. Le jardin s’améliore par la création d’une petite fontaine.
En 1981, le jardin public devient officiellement une ‘’zone d’espace vert protégé’’ et le 29 juin, le Conseil Municipal approuve la proposition de rachat de cet espace de 16 500 m2 par la ville aux Houillères pour un franc symbolique.
Trois ans plus tard, une salle est construite pour être mise à disposition des associations. Elle porte le nom de Bernard Chochoy, ancien maire de Lumbres et sénateur du Pas-de-Calais.
Il faut ensuite attendre près de 20 ans pour voir de nouvelles modifications importantes au jardin public. Il est complètement redessiné en juillet-août 1988. A cette occasion, les grilles qui l’entouraient sont enlevées et une grande fontaine au centre d’un arc de cercle installée. Le coût des travaux s’élève à 3 millions de francs (460.000 euros).
Derrière les terrains de tennis, une stèle rappelle que c’est dans ce lieu que le 11 août 1944, 18 employés (16 femmes et 2 hommes) de la Coopérative des Mines de Lens ont péri sous les bombardements ‘alliés’.
L’impact du Louvre-Lens
Avec l’ouverture du Louvre-Lens, un cheminement pour les piétons et les cyclistes est créé de la gare au musée. A cette occasion, le trottoir du jardin public est de nouveau élargi à quatre mètres. Une voie de déambulation destinée aux piétons y a été aménagée, une bande cyclable créée et l’éclairage public remplacé.
Dans cet espace vert, un lieu idéal pour faire une petite pause désaltérante sur le chemin du musée, une fontaine est installée en mai 2013.
En lien avec la CALL, la société Veolia Eau – Eaux de l’Artois a sollicité des artistes régionaux pour sa réalisation. La proposition de Raoul Csizmadia, artiste habitant à Avion, a été retenue. La fontaine, faite de bois et d’acier pour une meilleure intégration dans le contexte environnemental, mesure quatre mètres de haut et permet de distribuer en permanence de l’eau potable plate et gazeuse à une température de 10º.
Raoul Csizmadia nous parle de son œuvre : ‘’ La borne fontaine de Lens a été nommée « Perles de pluie’’. Elle représente une grande goutte d’eau et quatre bulles d’air qui évoquent l’eau plate et l’eau gazeuse. Véolia dans son appel d’offre voulait une sculpture qui met l’homme devant son avenir : protection de la nature et de l’environnement. L’eau et l’air ont bien convenu à leur désir. Une autre borne au jardin public de Liévin s’appelle ‘’Gouttes de rosée’’, symbolique de deux feuilles d’arbres et des gouttes de rosée dessus toujours dans le même esprit.
C’est la communauté de commune qui a assisté Véolia et c’est ensemble qu’ils m’ont désigné car j’avais déjà sculpté les Pigeons de Liévin, une flamme de la résistance toujours à Liévin et une sculpture croisière à Arras (avenue Kennedy). J’ai aussi livré une sculpture pour les 21 mineurs tués en 1965 à Avion en inox miroir. Je fais travailler une quinzaine de personnes à des degrés divers (des informaticiens, chefs soudeur, manutentionnaires mais aussi les terrassiers, grutiers, électriciens, ingénieurs, camionneurs, spécialistes laser). L’industrie et l’art peuvent se compléter et chacun doit trouver son compte ‘’.
L’eau distribuée peut être collectée dans des flacons spécialement mis à disposition dont l’assemblage des différents éléments est réalisé dans un établissement à caractère social : l’ESAT Ernest Schaffner de Lens (Etablissement et Service d’Aide par le Travail).
Et ensuite ?
Lors d’une réunion public en 2011, M. Guy Delcourt, alors maire de Lens, avait répondu à la question d’un riverain que le jardin public du carrefour Bollaert n’était pas menacé …. pour l’instant. Les modifications qui sont encore à venir dans ce secteur (dont le percement d’un second passage sous les voies de chemins de fer) confirmeront-elles cette affirmation ?
Le jardin public restera-t-il non seulement un lieu de promenade mais aussi un espace où de nombreux lensois retrouvent parfois avec nostalgie leurs souvenirs d’antan ?
Remerciements pour leur collaboration à cet article : Aurélie David, responsable du service des archives de la ville de Lens, Maxime Pruvost et Raoul Csizmadia.
Aujourd’hui, il n’y a pas de défilé pour la fête du travail, tout est calme en ville et dans les corons. ″Lens est devenue la ville la plus sage de France″ dira un journaliste parisien. Il faut dire que les militaires sont partout comme en ville et dans les corons.
Depuis le 10 mars et la catastrophe qui s’est produit dans les galeries de la Compagnie des Mines de Courrières, les mineurs sont en grève.
De nombreux troubles ont eu lieu ces jours derniers. On a frôlé l’insurrection lorsque les extrémistes menés par Benoit Broutchoux ont manifesté violemment en ville. Un militaire, le lieutenant Lacour a même été tué par une pierre lancé par un manifestant.
Georges Clemenceau, le ministre de l’intérieur, a interdit toute manifestation pour le 1er mai Le préfet Dureault était à Lens hier où il a réglé avec le général Chamer, commandant des troupes, les derniers points concernant la journée du premier mai : aucun rassemblement, aucune manifestation, aucun cortège ne seront tolérés.
Mais le Jeune Syndicat de Broutchoux maintient son défilé.
Ils ne seront que quelques dizaines à se rassembler devant la maison du Peuple, rue de Paris mais vite dispersés par la troupe. Emile Basly, qui est à la fois le maire de Lens et le représentant du Vieux Syndicat plus modéré, a appelé au calme et damandé aux mineurs de rester chez eux.
La foire de Liévin, prévue aujourd’hui, a aussi été annulée.
La grève s’essouffle depuis quelques jours. Les mineurs sont fatigués et leurs enfants ont faim. Les négociations sont toujours en cours mais dix-sept mille mineurs sont retournés au travail ce matin car le 1er mai n’est pas encore un jour férié, il ne le sera qu’en 1947. Lorsque les mineurs remontent du fond et sont raccompagnés chez eux par la troupe, quelques grévistes les attendent pour les huer mais il n’y a plus d’incident.
Le bruit coure que Basly aurait demandé publiquement la reprise aux conditions exigées par les compagnies. Pourtant, les revendications du début de la grève sont loin d’être satisfaites. En outre, Elie Reumaux, le directeur de la Société des Mines de Lens affirme qu’il sera procédé à des licenciements pour les responsables des grèves.
Dans une salle de la cité de la fosse 12, Casimir Beugnet fait le point devant cinq cents mineurs. Malgré les dernières déclarations de la direction, les ouvriers crient : »Nous voulons travailler, assez de grève ! ». Pour la première fois, une assemblée décide de la reprise du travail à Lens. Elle sera suivie de beaucoup d’autres.
Un Premier Mai pas comme les autres à Lens ……………
En ce lundi 1er septembre 1958, c’est la rentrée des classes à Lens comme partout en France. Pour la première fois, après deux années passées à l’école maternelle du 14, je vais à la ‘grande école’. Je rentre à l’école du 12 qui ne s’appelle pas encore Jean Macé.
Ce matin, je me suis levé plus tôt que d’habitude. J’ai pris mon petit déjeuner sur la grande table de la cuisine, des tartines de beurre trempées dans du Banania. Ensuite, je me suis habillé. Mes vêtements étaient prêts sur une chaise : ma chemisette, mon pull-over, ma culotte courte et mes grandes chaussettes. Puis j’ai enfilé pour la première fois ma blouse. La blouse était obligatoire à l’école primaire, symbole d’une égalité entre tous les enfants des corons.
Enfin voici l’heure tant crainte, l’heure de partir à l’école, l’heure de changer de vie, l’heure de prendre à la main ma ‘carnasse’, cette sacoche encore presque vide ce matin et qui va m’accompagner chaque jour jusqu’en juillet prochain.
Ma carnasse est légère mais ce soir, elle sera alourdie d’une ardoise avec son éponge et ses craies, de cahiers, des livres de lecture et de calcul, d’un plumier comprenant des crayons de bois, une gomme et l’indispensable porte-plume qui, plongé dans l’encrier en porcelaine du bureau, nous fera dessiner les pleins et les déliés sur notre cahier à grandes lignes.
Ce soir, il y aura du travail à la maison pour mes grandes sœurs : couvrir les nouveaux livres, mettre les protège-cahiers, couper les buvards et coller partout ces étiquettes sur lesquelles est inscrit en script : ‘Claude DUHOUX, CP, école de la fosse 12’.
Ce matin, pour la première et unique fois, ma mère m’accompagne pour me faire voir :
… La route, celle qui sera obligatoire : la rue Fermat, la rue des Saules puis la rue des Marronniers, tout autre itinéraire est formellement interdit et jamais nous ne penserons à braver cette interdiction.
… L’école des garçons : l’entrée se trouve sur le Grand Chemin de Loos. Il faut être là tôt, avant l’ouverture de la grande grille par le directeur à 8h20. ‘’Donc t’as pas intérêt à traîner en route si tu ne veux pas être puni !’’ me met en garde ma mère. Chaque jour, à 8h30 précises, la cloche sonnera l’heure de se ranger devant la porte de la classe. Tant pis pour ceux qui seront en retard, ils devront passer par le bureau du directeur avant de rejoindre leur classe.
Ma mère reste avec moi dans la cour jusqu’à ce qu’on nous demande de nous aligner deux par deux … puis elle s’en va. Le reste n’est plus son problème : ça se passe entre l’instituteur et nous, entre l’autorité et l’enfant ; l’autorité du maître que jamais les parents de l’époque ne remettaient en cause.
Je reste seul. Non, pas seul ! Nous sommes une trentaine de gamins du même âge alignés les uns derrière les autres … tous aussi intimidés. J’en reconnais quelques uns qui étaient avec moi en maternelle. Mais ici, c’est plus grand, on est plus nombreux et il y a des grands à qui on n’osera même pas parler sauf pour ceux qui ont la chance d’avoir un grand frère.
Pourtant un grand, il y en a un dans notre rangée. Il est un peu bizarre. Je le connais, il habite dans ma rue, la dernière maison avant le cimetière. Il restera assis au fond dans la classe toute l’année. Pour lui, on a installé un bureau plus grand que le notre. Aujourd’hui, on dirait qu’il est handicapé mental. A l’époque, on disait : ‘’Il n’a pas toute sa tête’’ ou ‘’Il n’est pas normal’’. Jamais il n’arrivera à lire ou à écrire. Il restera en CP jusqu’à ses 14 ans, jusqu’à la fin de la scolarité obligatoire. Après ….. C’est ainsi que l’on traitait le handicap en 1958 ….
Celui qu’on n’appelle pas encore entre nous ‘ch’maît’ arrive. Il est vieux mais gentil. Il s’appelle Monsieur Legrand. Vêtu de sa blouse grise serrée par une ceinture, les grosses lunettes noires sur le nez, il porte sur la tête un béret incliné sur un côté. On ne le verra jamais dans la cour sans son béret quelque soit le temps.
Comme il habite sur le parvis derrière l’église du 12, nous, ses élèves, ferons souvent un bout de chemin avec lui à la sortie des classes. Lui, ça l’amusera certainement de voir ces gamins qu’il aime tant lui proposer de porter son cartable, sa carnasse ! Nous, ça nous rendra fier de l’accompagner.
Monsieur Legrand a une jambe plus courte que l’autre. Personne ne sait ni ne saura pourquoi. Pour compenser et éviter de boiter trop, il longe toujours le bord des trottoirs, un pied sur celui-ci, l’autre dans le caniveau !
C’est l’heure ! Le maître nous fait entrer. C’est avec appréhension que nous prenons possession de notre classe. Quel changement par rapport à l’école maternelle : finies les grandes tables de huit et les petites chaises à accoudoirs. Là, des bureaux en bois à deux places parfaitement cirés, alignés en trois rangées de part et d’autre du poêle à charbon font face à l’estrade où est perché le bureau du maître. Derrière sa chaise, un grand tableau noir et une carte de France. Cette carte de France où figurent les 90 départements et leurs chefs-lieux que nous saurons réciter par cœur dans quelques années ainsi que les fleuves et leurs affluents, les montagnes avec le point culminant du pays, le Mont Blanc dont on apprendra qu’il est haut de 4810 mètres.
On ne s’assoit pas où on veut. Le maître nous appelle par ordre alphabétique et nous désigne notre place. On pose sa carnasse le long au pied du bureau, on s’assoit et on croise les bras.
Première règle : pour parler en classe, il faudra lever le doigt et attendre que le maître nous y autorise. Et le maitre, on l’appellera toujours ‘Monsieur’ en le vouvoyant. En 1958, il est hors de question d’appeler l’instituteur par son prénom et de le tutoyer. On n’appelle pas ça du respect ou du savoir-vivre : c’est comme ça, c’est tout.
Cette fois, c’est parti pour une année ! Année au cours de laquelle, chaque jour de la semaine sauf les jeudis et dimanches, nous allons apprendre à lire, à compter mais aussi à vivre ensemble dans le respect les uns des autres.
Chaque matin, au début de la classe, il y aura la leçon de morale que nous copierons sur notre ‘cahier du jour’. La phrase quotidienne qui nous apprendra comment nous comporter en ce monde restera inscrite à la craie au tableau jusqu’à la fin de la journée juste sous la date : En CP, c’est par exemple : ‘’Je prendrai soin de mes affaires’’, ‘’J’écouterai toujours le maître’’, ‘’Je serai un élève attentif’’ ….
La récompense du travail bien fait : un petit bout de carton de couleur que l’on appelle un ‘bon-point’ ; et au bout de dix bons-points, une image ! Quelle fierté d’en avoir une de plus que son voisin. Mais il faut aussi faire attention au ‘classement’. Si sur la double page cartonnée qu’il ramènera à la maison chaque mois, les notes et les appréciations du maître et du directeur seront bonnes, l’élève aura droit au billet d’honneur pour sa bonne conduite et son application au travail.
Mais pour mériter cela, il faudra bien travailler. ‘’Pour avoir un beau métier’’ nous disait-on. ‘‘Pour ne pas être mineur’’ nous précisait-on. Pour bien travailler, certains iront ‘à l’étude’. L’étude, c’est une heure supplémentaire le soir, quatre jours par semaine. Là, contre une minime participation financière, le maître nous conseillera pour faire nos devoirs sur le ‘cahier du soir’.
Les après-midi seront longs pour ceux qui iront ‘à l’étude’ ! Alors, ils emmèneront leur goûter, le plus souvent, une tartine de confiture et un fruit. Mon goûter, je le transportais dans une mallette, un petit sac de toile bleue qu’avait cousu ma mère.
Mais aujourd’hui, c’est la rentrée ! Tout le reste, on l’apprendra au fur et à mesure. Au fur et à mesure que nos maîtres feront des enfants que nous sommes des adolescents. Dans cinq ans, certains iront en sixième au collège ou au lycée, d’autres resteront jusqu’à leurs 14 ans, jusqu’au certificat d’étude. Parmi ces derniers, beaucoup rejoindrons le centre de formation des galibots des mines de Lens.
Voilà donc comment se passait la rentrée des classes à l’école primaire de la fosse 12, à Lens, en 1958.