Auguste DETOEUF
AUGUSTE DETŒUF
Auguste DETŒUF est sans doute le 'moins lensois' de toute la famille. Bien que né à Lens le 6 août 1883, ses parents habitent à Wizernes, près de Saint Omer, dans le hameau de Gondardennes.
Le père et le grand père d'Auguste travaillent là-bas. Albert Detœuf, né en 1869, est comptable à la papeterie Dambricourt Frères (futures papeteries de l'Aa) , entreprise dans laquelle son père Prudent est Directeur.
La mère d'Auguste, Céline Béhal, lensoise elle, est la nièce du grand savant Auguste Béhal et est venue accoucher chez ses parents qui habitent rue de la Paix à Lens.
Auguste Detœuf fait ses études primaires chez les frères des écoles chrétiennes de Saint-Omer. Contrairement à son oncle et à ses cousins Amand valeur et Raymond Delaby, il ne se dirige pas vers la pharmacie et la chimie mais plutôt vers l'industrie comme son père.
A 19 ans, il entre à l'Ecole Polytchnique et après en être diplômé en 1904, intègre tout naturellement l'Ecole des Ponts et Chaussées d'où il sortira ingénieur général dès 1907.
En 1908, il est nommé à la direction des travaux hydrauliques de Cherbourg. C'est là qu'il fait la connaissance de Maxime Laubeuf, l'inventeur des sous-marins à double coque. C'est ainsi que l'une de ses premières farces fut de créer avec lui 'la Société Anonyme Detoeuf et Laubeuf spécialisé en aéronefs submersibles et sous-marins volants'.
En 1912, il est nommé au service maritime du Havre où il exécute des travaux originaux. Sa style de direction consiste à ne pas laisser aux ingénieurs que les tâches de commandement ou de contrôle mais de les faire participer à l'exploitation et à la coordination des travaux avec les autres services.
Pendant la Première Guerre mondiale, il est appelé à l'exploitation militaire des voies navigables. Blessé lors des opérations des Flandres, il est affecté à la commission technique des voies navigables à Rouen. Il y crée notamment pour les transports fluviaux un bureau d'affrètement unique et obligatoire qui organise les transports de marchandises qui est bien accepté par les mariniers. Cette initiative permet de porter au maximum le rendement des transports par la Basse Seine pour suppléer à l'insuffisance de la desserte par la voie ferrée et d'assurer aux marins de l'activité.
Le 7 octobre 1916, Auguste Detœuf épouse à Paris (17e) Nelly Adam.
Devant ces succès, c'est Alexandre Millerand, Commissaire Général en Alsace, qui propose dès la fin du conflit à Auguste Detœuf la direction des ports de Strasbourg et Kehl revenus à la France après le traité de Versailles. Detœuf quitte Strasbourg en 1924 pour la Compagnie Thomson-Houston en ayant réussi à donner au port de Strasbourg le titre de 'Port Autonome' grâce à son action auprès des autorités. C'est en effet le 26 avril 1924 qu'une loi dont il est l'initiateur est votée au Parlement homologuant une convention entre l'Etat et la ville de Strasbourg. Sous sa direction, le trafic du port, de 2 millions de tonnes en 1913 est passé à plus de 6 millions dont une large part était assurée par la flotte française rhénane.
Le Port fluvial de Strasbourg
En 1924, il s'engage dans la Compagnie Française pour l'exploitation des procédés Thomson Houston fondée en 1893 pour construire et exploiter des unités de production et de transport d'électricité et des réseaux de tramways électriques.
En 1925, il effectue un voyage de six semaines aux USA, invité par la General Electric. Très impressionné par ce qu'il a vu, il publie en 1927 'La réorganisation industrielle', dans Les Cahiers du redressement français, aux Éditions de la SAPE. Dans cet ouvrage, il vante le système américain.
En 1928, il est l'artisan de la fusion entre la Compagnie Thomson-Houston et la Société Alsacienne de Constructions Mécaniques. Ce groupe prend le nom d'Als-Thom (qui deviendra ensuite Alsthom). Il en sera le Président de septembre 1928 à décembre 1940.
Surtout connu pour la construction de matériel ferroviaire, Alsthom construit en outre pour la Compagnie Générale Transatlantique les moteurs du Paquebot 'Normandie', les plus grands jamais construits dans le monde.
En 4 ans, de 1928 à 1932, Auguste DETOEUF permet à Alsthom de produire 50 % du marché français de l'électrotechnique grâce à ses méthodes modernes (rationalisation et regroupement de la production, création de contrats à long terme avec ses fournisseurs, échange de brevets avec les entreprises étrangères pour réduire leur part de marché en France).
Très concerné par les problèmes économiques de son époque (Alsthom a tout de même frisé la faillite en 1935), Detœuf fait partie du Groupe X-Crise qui est un cercle de réflexion et de débats sur l'économie, rassemblant des anciens élèves de l'École polytechnique suite à la grande dépression qui suivit le krach boursier de 1929. La tendance générale du groupe est de remettre en cause l'économie libérale dont la crise révèle les faiblesses, et de promouvoir une "économie coordonnée". Il dénonce l'incompétence des politiques en matière de planification technique et économique et leur tendance à vouloir préserver à tout prix les anciens modèles économiques plutôt qu'à rechercher et corriger les problèmes ayant suscité la crise. Il prononce devant ce groupe en 1936 un fameux discours intitulé «La fin du libéralisme».
Il participe du 26 au 30 août 1938 à Paris au colloque Walter Lippmann (rassemblement de 26 économistes et intellectuels libéraux) où, sur certains thèmes, il s'oppose à Ludwig von Mises qui affirme que l’État ne doit surtout pas intervenir pour rétablir la concurrence car c’est lui le responsable de la constitution de grandes unités à tendance monopolistiques. Auguste Detœuf, qui ne nie pas la responsabilité de l’État dans le processus économique pense que si ce dernier a dû intervenir, c’est que le libéralisme 'à tout va' a 'conduit à une situation telle que tout le monde s’est trouvé plus ou moins ruiné ou sans travail'.
C'est en 1938 qu'est publié pour la première fois son célèbre livre : 'Propos d’O.L. Barenton, confiseur'. Livre souvent réédité depuis qu'analyse ainsi France Culture : 'Cet ouvrage plein d'esprit, dans la meilleure tradition française, nous livre les réflexions, sous forme d'aphorismes, d'un industriel obligé de se convertir dans la confiserie au lendemain de la Grande Guerre. Paradoxes sur l'argent et le pouvoir, propos humoristiques sur l'économie politique, l'industrie, la nature humaine, le fonctionnement des entreprises. Ce classique des années trente connaît un succès croissant'. Quelques unes des meilleurs réflexions d'Auguste Detoeuf, dont certaines seraient encore tout à fait d'actualité aujourd'hui, sont reprises en bas de page.
A la même époque, il fait paraître 'Construction du syndicalisme' aux Éditions Gallimard et avec Jacques Barnaud, crée la revue bimensuelle 'les Nouveaux Cahiers' qui milite pour :
la construction d'un syndicalisme ouvrier et patronal, apolitique et obligatoire dans une perspective anticommuniste
la collaboration économique franco-allemande
un plus grand pouvoir pour l'élite technicienne avec une gestion rationnelle et dirigée de l’économie
Sous l’Occupation, plusieurs membres des Nouveaux Cahiers occupent des postes importants dans le régime de Vichy.
Detoeuf est l'un d'eux. Dès 1939, il crée la THF (Thomson-Houston France), une filiale d'Aslthom qui place ses usines françaises hors du joug allemand. Bien lui en a pris car le 21 août 1940, les Allemands réquisitionnent les usines alsaciennes d'Alsthom (l'Alsace fait de nouveau partie du territoire allemand).
Une semaine auparavant, la loi du 16 août 1940 du gouvernement de Vichy crée les 'Comités d'Organisation' chargé de gérer la production française. Ces structures sont mises en place par Vichy pour, selon le gouvernement de Pétain, empécher les Allemands de s'emparer de l'industrie française et lui maintenir, voire développer son activité. En décembre 1940, Auguste Detœuf démissionne d'Alsthom et est nommé président du comité d'organisation des industries de la construction électrique.
Dans sa publication 'Histoire, économie et société' publiée en 1992, Pierre Lanthier, Professeur à l'Université du Québec, écrit : 'Pour qu'Auguste Detoeuf donnât sa démission d'Alsthom et de la THF en vue de s'occuper du Comité d'Organisation du matériel électrique et cela malgré sa répugnance à l'endroit des nazis et de certaines idées en cours à Vichy, c'est que l'industrie électrotechnique avait besoin d'une autorité politique aussi bien pour la protéger des ingérences allemandes que pour maintenir son marché'.
A la fin de la guerre, Auguste Detœuf ne fut pas inquiété pour son attitude sous l'occupation. Il écrivit quelques articles pour le Figaro lorsque Pierre Brisson repris la direction du journal.
Retiré à Neuilly-sur-Seine, Auguste Detœuf y est décédé le 11 avril 1947.
Comme pour Amand Valeur, à Lens une rue de la cité 14 porte le nom d'Auguste Detœuf.
Quelques maximes d'Auguste DETŒUF reprises dans 'Propos d’O.L. Barenton, confiseur' :
AMIS |
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ARGENT |
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ARRIVER |
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AVENTURIER | Un aventurier est toujours de bas étage. S'il était de haut étage, ce serait un homme d'affaires. |
BOURSE | Le thermomètre de l'industrie, mais si mal placé qu'il l'empêche presque toujours de marcher. |
CAPITAL | Le capital est du travail accumulé. Seulement, comme on ne peut pas tout faire, ce sont les uns qui travaillent et les autres qui accumulent. |
CONSULTER | Façon respectueuse de demander à quelqu'un d'être de votre avis. |
DESINTERESSEMENT | Être désintéressé, ce n'est pas mépriser l'argent, c'est avoir pour mobile essentiel le désir d'accomplir une tâche d'intérêt commun. |
ETAT | Aide-toi, l'état ne t'aidera pas. |
FORTUNE | Avoir fait fortune, c'est posséder un peu plus d'argent que les gens qu'on fréquentait la veille. Juste assez pour pouvoir les laisser tomber. |
GENEROSITE | De tous les usages que le peuple peu faire du peu d'argent qu'il a, la générosité est le seul qui l'égale aux riches. Il le sait |
HOMME | La plupart des hommes ne sont assurés de leur réalité qu'à partir du moment où ils obtiennent quelque considération. Ils n'existent que par le reflet qu'ils croient voir de leur existence dans les yeux d'autrui. |
HONNETETE | L'honnêteté est rarement une marque d'intelligence, mais c'est toujours une preuve de bon sens. |
IDIOT | Un idiot riche est un riche. Un idiot pauvre est un idiot. |
IMPREVU | Il ne faut jamais oublier de prévoir l'imprévu |
MÉDIOCRITÉ |
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OPINION PUBLIQUE | Il y eut un bon moment dans l'histoire des démocraties: ce fut le temps où on agissait sur l'opinion par la rhétorique. Action passagère, peu redoutable. Nous en sommes à l'époque où l'opinion se fait par la propagande: je crains bien que nous n'en sortions pas. |
OUVRIER, PATRON |
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PARLER |
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POLITESSE |
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POLITIQUE 1 | Il n'y a de bonne politique que celle du juste milieu. Le difficile n'est que de savoir où il est. |
POLITIQUE 2 | La politique, c'est le cauchemar de l'industrie, le rêve de l'industriel. |
POLITIQUE 3 |
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POURBOIRES | Le pourboire se donne aux salariés insuffisamment rémunérés : les postiers, les garçons de café et d'hôtel, les chauffeurs de taxi, et (à l'étranger) les hommes politiques. |
PROSPERITE | Il n'y a point d'industrie dont la prospérité soit stable, si cette prospérité est fondée sur des bases contraires à l'intérêt commun. |
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STATISTIQUE |
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THEORIE | Ce qui rend fausses beaucoup de théories économiques, c'est qu'elles sont fondées sur l'hypothèse que l'homme est un être raisonnable. |
VERITE | Laquelle de ces deux vérités est la vérité? Il faut être très riche pour se permettre d'être honnête. Il faut être très riche pour se permettre de manquer d'honnêteté. |
Et pour finir, celle ci écrite en 1938 mais très visionnaire :
- "Le Français est un paresseux qui travaille beaucoup. L'Anglais un paresseux qui ne fait rien. L'Allemand un travailleur qui se donne du mal. L'Américain, un travailleur qui sait s'arranger pour ne pas faire grand chose. Le Chinois gagne peu, travaille vite et bien, l'avenir lui appartient."
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