Pour accéder au terrain par la « cité des pensionnés », d’où venait tous les gens des quartiers nord de Lens (fosses 9,11,12,14, etc …), il fallait passer par un petit pont qui surplombait les voies du Chemin de Fer des Mines. Sur ce pont, on allait à trois de front au maximum. Pour entrer au stade, ça allait encore, les arrivées étaient étalées. Mais pour sortir, il y avait plusieurs milliers de personnes à passer par cet entonnoir. Alors, on attendait son tour, sans se bousculer, sans se chamailler, en discutant avec les gens. Ca pouvait durer une demi-heure les soirs de grand match. Alors, ça discutait, chacun y allait de son analyse. Finalement, on avait assisté au match et on avait en plus les commentaires d’après match. Canal + n’a rien inventé ! Une fois passé, on allait récupérer son vélo ou sa Mobylette « Chez el’femme » et on rentrait.
Le p’tit pont aujourd’hui : il ne reste de visible que l’accès, la voie du chemin de fer des mines est devenue l’allée piétonne Marc-Vivien Foé. A gauche, l’emplacement de la maison de la « gardienne de deux-roues ».
Ch’est min garchon
Quelques années plus tard, on avait le droit d’aller au match tout seul, sans son père. On avait une douzaine d’années et c’était les premiers matches en nocturne. A cette époque, les gamins de 12 ans pouvaient sortir le soir sans aucun risque dans les corons. On y allait en bande avec tous les copains de la cité. Mais, il y avait un problème, à partir de 10 ans, il fallait payer demi-tarif. Alors, on attendait entre les caisses et le point de contrôle et on apostrophait les gens qui entraient au stade. « J’peux passer avec vous, M’sieur, s’il vous plait ? ». Tout le monde connaissait la combine. Les adultes nous prenaient par la main pour franchir le point de contrôle et disaient au gardien « Ché min garchon ! Y peux passer ? ». Et le gardien, pas dupe et qui nous voyait attendre depuis un quart d’heure devant lui répondait « Quel ache qu’il a, tin tchio ?
- Y vient juste d’avoir 10 ans
- Y’est bin grand pous’n'ache ». Et avec un clin d’oeil à l’adulte qui nous tenait par la main, il nous laisser entrer. Ensuite, il n’y avait plus qu’à attendre que les autres copains passent à leur tour avant d’aller se placer en populaire.
Les « s’gontes »
Là où se situe toujours le kop lensois aujourd’hui se trouvait à cette époque là une petite tribune que l’on appelait « les s’gontes » (en français les secondes). Déjà à cette époque, c’est là que se trouvaient les supporters des « sang et or » avec leurs chants et leurs drapeaux. Les supporters d’aujourd’hui n’ont rien inventé, ils n’ont fait que moderniser (avec talent, il faut le dire) ce que faisaient déjà leurs grands-pères.
Les s’gontes vues du ciel
Je me souviens que pour nous qui étions toujours dans les populaires; c’était les jours de grand match impressionnant de voir toute cette foule agglutinée au centre de cette tribune, tout le monde était debout à l’époque.
Je me souviens d’une réflexion qui nous avait fait éclater de rire d’un de nos voisins dans les populaires qui dit en regardant vers la tribune de secondes « y’in faut des kilos d’Palmolife pour laver tout cha ! ».
Il y avait moins de drapeaux mais la ferveur existait déjà
Les branlées
Même si le but de ces textes n’est pas de raconter l’histoire du Racing mais plutôt les anecdotes s’y rapportant, on ne peut oublier les moments de jubilations lorsque les Sang et Or gagnaient avec la manière. Tous les anciens se souviennent des « branlées » que l’on a mis aux visiteurs (Lens-Le Havre 7-0; Lens-Bordeaux 8-1; Lens-Nice 4-0 et aussi le mémorable Lens contre Racing de Paris 10-2 dont 6 buts d’Oudjani lors de la saison 63-64); Ces soirs là, quand on rentrait chez soi, on se disait déjà : « Fier d’être Lensois ».
Je me souviens qu’à cette époque, l’introduction d’alcool n’était pas interdite dans les stades et qu’un dimanche après midi, Lens recevait Nantes sur un terrain « surgelé » et par une température d’environ moins 10. Le terrain était tellement dur que les Lensois ont joué en baskets car aucun crampon ne pouvait s’accrocher à la pelouse. Devant moi, dans les tribunes, il y avait deux hommes qui avaient pris « de quoi se réchauffer » et qui s’était engagés à vider une bouteille à chaque but de Lens. On a gagné 4-0. Ils ne devaient pas être très clairs en rentrant chez eux, ce soir là !
Oudjani lors d’un match face à Nice
La Clarville
Mon père travaillait à « la Centrale de Vendin » où chaque année était organisée une loterie au profit de je ne sais plus qui. En 1962, on a eu la chance de gagner le premier prix. C’était une télé de marque Clarville, en noir et blanc, bien sûr. C’était une révolution dans la maison: plus besoin d’aller chez les voisins voir « La piste aux étoiles » ou les premières retransmissions des matches de Coupe d’Europe du grand Reims (dont je reparlerai plus tard). L’alimentation électrique était en 110 à cette époque et il y avait souvent des baisses de tension, surtout le soir. Sous la télé, il y avait un « survolteur » sur lequel il fallait actionner le bouton plusieurs fois pour empêcher la télé de s’éteindre.
L’inconvénient, c’était que lorsqu’on regardair un match où l’une des équipes avait un maillot bleu et l’autre un rouge, toutes les deux en short blanc, on avait du mal a voir qui jouait avec qui. Alors, le commentateur disait » Vous reconnaissez l’équipe de France à ses chaussettes, elles ont deux petits liserés blancs alors que les autres sont unies ». Tu parles, Charles !
Notre « Clarville » ressemblait un peu à ça dans les années 60
Télé Dimanche
Le dimanche après midi, il y avait une émission de télé présentée par Raymond Marcillac qui s’appelait Télé-Dimanche. Un jour, avec mon père, nous sommes allés « au match » voir Lens-Reims. C’était le Reims de la grande époque avec Kopa, Fontaine… Le stade était plein comme un œuf. Nous, on avait trouvé une place dans les populaires, le nez plaqué contre le grillage juste à côté d’un poteau de corner. A 5 minutes de la fin, Lens menait 2-1. Mon père me dit : »Allez, c’est presque fini, on s’en va sinon on va être coincé au p’ti pont ». Nous voilà donc partis, on récupère la Mobylette et on rentre. Ma mère et mes sœurs regardaient Télé-Dimanche. « Qui c’est qui a gagné? demande ma mère. - Lens par deux buts t’à un ». A la fin de l’émission, la télé passe les panneaux des résultats de foot : Reims avait marqué 2 fois dans les 5 dernières minutes et avait gagné 3-2. Après ça, mon père n’est plus jamais parti avant la fin d’un match quitte à attendre une demi-heure au « p’tit pont ».
Télé Dimanche de Raymond Marcillac qui avait découvert Mireille Mathieu.
Le foot au « caté »
A cette époque, il y avait très peu de clubs structurés et la plupart des gamins qui jouaient au foot le faisait dans la rue : il y avait très peu de voitures. D’ailleurs, comme dans tous les corons, tous les gosses de la cité vivaient dehors jusqu’à la tombée de la nuit.
Mais on avait aussi nos « matches du jeudi ». Quand on allait au catéchisme, le curé était un passionné de football et alors qu’on été partis plus de deux heures, on avait une demi-heure de « caté » et une heure et demi de foot sur le parvis de l’église du 12 (entre l’église et la rue Saint Edouard). Et là, par tous les temps, c’était des parties acharnées parfois à vingt contre vingt, entre ceux de la cité 12 contre ceux de la fosse 14. D’un côté le but était délimité par deux des pylônes de la clôture de l’église. De l’autre quatre bouts de bois ou quelques sacs ou vêtements faisaient office de poteau. Il n’y avait pas d’arbitre et si après un tir au but, quelqu’un criait « trop haut », tout le monde était d’accord pour annuler le but. Le curé relevait le bas de sa soutane pour jouer avec nous par tous les temps : soleil, pluie ou même neige. On revenait « tout crotés à l’mason ». C’est peut être pour ça qu’il y avait tant de monde au « catè » à l’époque.
Notre terrain de football « derrière l’église »
Le sport ailleurs
Un peu plus tard, quand on avait fait sa communion, on n’allait plus à la messe. C’était « la tradition ». Alors, on se baladait avec les copains et on allait voir du sport. Souvent, c’était « au cimetière » où jouaient l’AS Lens (je pense que ce club existe toujours, ils avaient un stade auprès de ce qu’on appelle aujourd’hui le cimetière nord au bout de la rue Lamennais, là où reposent mes parents). Parfois, on avait des copains qui, étant meilleurs que nous, jouaient dans ce club. On allait les encourager. Ou alors, on allait aussi voir du basket « au cercle », rue des Marronniers à la fosse 12, derrière la salle Saint Laurent. Là aussi, c’était « à l’ancienne » : les matches se jouaient dehors par tous les temps sur un terrain en terre battue (il n’y avait pas de salles de sports), il n’y avait pas de remplaçants et, à la fin du match, on devait aller voir la table de marques pour savoir qui avait gagné car il n’y avait pas non plus de tableau d’affichage.
Le stade de l’AS Lens ressemblait à celui-ci
L’pate à modeler
Mes frères et sœurs plus âgés pourraient vous le confirmer : quand j’étais gamin, j’étais un fervent de la pate à modeler. Et comme j’étais aussi fervent du Racing, il ne fallait pas grand-chose pour ces deux passions se réunissent. Sur une petite table située sous la fenêtre de la cuisine dans notre maison des Mines avaient lieu les répétitions des plus grands matches du championnat de France. Avec la pate à modeler, je fabriquais dix boules rouge et jaune, dix autres d’une autre couleur, deux différentes pour les gardiens de but et une noire pour l’arbitre. Les poteaux des buts, les bancs de touche et même le tableau d’affichage étaient aussi en pate à modeler. Et alors, une fois la fabrication terminée, le match pouvait commencer. Ca durait des heures et des heures et je ne sais pas pourquoi, à la fin, c’est toujours Lens qui gagnait !
Les bâtons de pâte à modeler : des heures de matches !
Les lendits
Mais le stade Bollaert, c’était l’endroit mythique ! Et fouler sa pelouse une fois par an était une fierté et un honneur. Alors, quelle était notre joie quand, une fois par an, en fin d’année scolaire, on y présentait avec l’école un spectacle gymnique que l’on appelait « les lendits ». Tous les jeunes des écoles de Lens faisaient un tour d’honneur autour du terrain puis se présentaient devant la tribune d’honneur pour faire une exhibition de mouvements d’ensemble » que l’on avait répétés à l’école toute l’année.
Les Lendits à Bollaert dans les années 60
J’suis « placeur »
Un peu plus tard, vers 15/16 ans, j’ai réussi à me faire embaucher comme placeur dans la tribune d’honneur du stade. On avait droit à une carte officielle de « Membre Actif » et on portait un brassard : le mien avait été cousu par ma mère avec des morceaux de tissus rouges et jaunes. On gagnait par match : 5 francs (plus les pourboires) et un exemplaire gratuit du journal « Sang et Or ». Puis, on avait le droit de voir le match de la tribune. Je me souviens avoir assisté à un match de gala avec des internationaux comme Kopa et Fontaine et il me semble le retour à Lens de Wiesniewski. C’était à l’occasion du jubilée de Bernard Placzek, qui joua 377 matches et fut longtemps capitaine du Racing. Ca reste un bon souvenir même si peu de temps après, Lens a abandonné le football professionnel pour ne le réintégrer que quelques années plus tard.
Sang et Or : le journal du Racing
Sin dernier match
Si mon père est à l’origine de ma passion pour ce club, il était normal que je sois présent lors du dernier match qu’il est allé voir à Bollaert. Il me semble que c’était en 1972 lors de la légendaire demi-finale contre Bastia. Battus 3-0 à l’aller et surtout mal reçus en Corse (on a entendu dire que des voitures immatriculées 62 avaient été jetées dans le port de Bastia), les lensois, alors en 2ème division, voulaient laver cet affront. Bollaert était plein comme un œuf et même plus puisque qu’il y avait du monde sur les toits des tribunes, sur les pylônes des projecteurs et que l’on avait du mal à voir les limites du terrain tant il y avait de supporters le long des lignes (je pense qu’aujourd’hui, le match n’aurai pas eu lieu mais le holliganisme à la sauce PSG n’existait pas encore à l’époque). Lens marqua 1 fois puis une autre mais ne remonta pas le handicap de l’aller. Qu’importe, l’honneur était sauf et les Corses se sont longtemps souvenus de « l’accueil » des ch’tis. Une banderole reste dans mes souvenirs : le gardien corse était yougoslave et s’appelait Pantélic. La banderole disait « Pantélic, pends tes loques ». A-t-il compris ? Je ne le pense pas.
Lens-Bastia 1972 : le début du renouveau du Racing
Aujourd’hui
Je suis retourné à Bollaert il y a quelques jours. Il y a 50 ans, mon père m’y emmenait. Cette fois là, c’est mon gendre qui m’y a invité. Le temps passe ! C’est vrai que c’est beau : les couleurs, les tifos, les drapeaux, les chants, la Marseillaise Lensoise, les Corons à la mi-temps. Toutes les couleurs de Bollaert aujourd’hui Mais j’ai l’impression qu’il manque quelque chose. Quoi ? Je ne sais pas. Le p’tit pont ? Les s’gontes ? Les gradins en terre battue ? Peut être quelques ch’tis de plus sur le terrain pour garder l’esprit lensois ?
Toutes les couleurs de Bollaert aujourd’hui
La passion est toujours là pour ce club mais il y a aussi beaucoup de souvenirs et certainement un peu de nostalgie. Parce que cette équipe, c’est : « Min Lens à mi ! ».
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