Enfant dans les corons de Lens, mes copains s’appelaient Folet, Lambert, Gilles ou Buziaux mais aussi Michalak, Budchinski, Levandowski, Stakoviak ou Chaikowski. Lens et le bassin minier ont toujours été une terre d’accueil pour les étrangers. Je ne parle pas des Espagnol ou des Prussiens, venus chez nous pour y faire la guerre mais les premiers vrais « immigrés » étaient polonais.
Venus dès la fin du 19ème siècle et surtout après la Première Guerre, les Polonais, courageux et travailleurs, s’intégrèrent rapidement à la communauté minière.
Certes, ils avaient leur pratiques, leurs églises, leurs commerces, leurs musiques (le plus célèbre d’entre-eux, Stephan Kubiak voir ici l’article sur lui : http://chti76.unblog.fr/2008/10/21/lensois-celebre-stephan-kubiac/, leur cuisine (j’adore les metka)…. mais tout cela, il le partagèrent rapidement avec les lensois au point de se confondre rapidement dans la société et d’y devenir indispensables. Si l’histoire de Lens est celle qu’on nous narre aujourd’hui, c’est aussi parce qu’elle a été faite avec les Polonais, et ce pas seulement pour la gloire du RCL (rappelez vous entre autre, Placzek, Budzinski, Biéganski, Sowinski, Kosso, Théo puis plus tard les frères Lech, Krawczyk, etc ..).
La communauté (je n’aime pas trop ce mot qui sent le renfermé alors que c’étaient des gens très ouverts) polonaise avait aussi SON journal : Narodowiec, ce journal imprimé à Lens est une véritable légende, un incroyable quotidien en langue polonaise qui était lu chaque jour par près de 60 000 abonnés ! C’était le second quotidien du bassin minier derrière La Voix du Nord. Il avait des abonnés aussi à l’étranger (Belgique, Hollande, Angleterre et même USA).
Photo parue dans « La Voix du Nord » à l’occasion du centenaire du journal
Dans ses années de gloire, Narodowiec proposait jusque 32 pages écrites par une véritable équipe de journalistes passionnés de leur nation d’origine. On pouvait y lire des nouvelles de tout le nord de la France, de Paris, de la France entière, du Benelux ; et puis aussi toutes les rubriques d’un quotidien « normal » : politiques, sociales, financières, agricoles, médicales, culturelles.. Il y avait aussi le courrier des nombreux lecteurs, un feuilleton et des BD.
Style de bande déssinée du journal
On y trouvait même les aventures du Professeur Nimbus qui faisaient aussi notre bonheur à nous dans La Voix du Nord.
C’est dans la rue Émile Zola qu’étaient installées les presses rotatives: 80 salariés y travaillaient pendant six jours et six nuits pour boucler à temps le journal distribué par 200 colporteurs dans les années d’après-guerre ! Dès six heures du matin, les bureaux de la rédaction ouvraient, à 14 heures, le journal était déposé en gare de Lens et d’Arras tandis que dans les corons les plus proches, les mineurs polonais trouvaient le Narodowiec daté du lendemain !
Le créateur du journal : Michal Kwiatkowski.
Journaliste au début du XXe siècle dans la partie de la Pologne occupée par la Prusse ; Nationaliste convaincu, résistant. Il fut emprisonné pour ses écrits échappa à plusieurs tentatives d’assassinat.
Le 2 octobre 1909, il crée et fait paraître le premier numéro de Narodowiec à Herne, en Westphalie. Il deviendra, ainsi que son épouse, député de la diète polonaise.
1924 : Les polonais viennent par milliers chercher du travail dans les mines. Narodowiec émigre en France et s’installe à Lens en 1926. Une aubaine pour ces familles qui ne parlent pas un mot de français Il arrive déjà à 36 000 lecteurs.
En 1940, Narodowiec appelle à la constitution d’une armée polonaise en France de 100 000 hommes. A l’arrivée des Allemands en Artois, le journal disparaît. Il ne reparaîtra qu’à la Libération. Michal Kwiatkowski est devenu vice-président de l’assemblée nationale polonaise en exil à Londres : le journal est maintenant anticommuniste, contre le pouvoir qui s’est installé à Varsovie.
Dans les années 50, près de 60 000 exemplaires sont vendus par jour
En 1966, Michal décède et c’est son fils Michel qui reprend le journal aidé de son épouse, Eliana.
En 1989, cette formidable aventure de presse prend fin : de 57 000 lecteurs dans les années 50, Narodowiec n’en avait plus que 6 000 trente ans plus tard. Il faut dire que la conjoncture était devenue mauvaise : les puits de mines fermés, la vie devenait plus difficile pour les retraités et, surtout, les jeunes générations de la Polonia ne parlaient de moins en moins la langue d’origine. L’Avenir de l’Artois crée alors sa page mensuelle de la communauté franco-polonaise, « Nowa Polska », une façon de perpétuer l’esprit du quotidien.
Le 2 octobre 2009 en l’église du Millénium, Route de Béthune à Lens, une grande exposition a eu lieu pour commémorer les 100 ans de la première parution de Narodowiec.
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