La catastrophe de la Clarence
Le 3
septembre 1912, en début d'après-midi, une explosion dans les galeries
des mines de la Clarence, la plus profonde et une des plus grisouteuses
du bassin houiller, faisait 63 tués et 21 blessés. 18 mineurs furent
remontés à peu près indemnes, mais 10 blessés, trop grièvement brûlés
succombèrent les jours suivants. Au cours des opérations de sauvetage,
une nouvelle explosion survint, elle fit 6 tués : 5 sauveteurs,
l'ingénieur de la fosse M.Dupont, intoxiqué par des fumées, et 3
blessés. Finalement cette catastrophe fit 100 victimes : 79 morts dont 6
sauveteurs et 21 blessés, dont 3 sauveteurs.
Pour la même année
1912, 246 enquêtes pour des accidents graves survenus dans les mines du
Pas-de-Calais furent ouvertes. Ces accidents firent globalement 360
victimes dont 187 morts et 173 blessés. Après celle de Courrières, la
catastrophe de la Clarence fut la plus meurtrière, en ce début de siècle
secoué par des mouvements sociaux et syndicaux qui marquèrent à jamais
le monde ouvrier.
Le 11 septembre les opérations de sauvetage furent suspendues, la fosse noyée, 28 cadavres furent abandonnés dans la mine.
La
fosse de la Clarence a été fermée dans les années 50, suite à un nouvel
accident dû au grisou. Les bâtiments principaux ont disparu, quelques
activités légères occupent aujourd'hui le carreau. Dans les entrailles
de cette riante vallée, 28 mineurs dorment pour l'éternité. Puissent ces
lignes nous rappeler leur souvenir et leur sacrifice.
LA CATASTROPHE
L'explosion
Dès l'annonce de l'accident, une foule énorme vint se masser devant
la grille du carreau de la fosse. Elle fut canalisée par les Gendarmes
de Béthune appelés en renfort.
(Coll. V. Régnier).
Mardi 3 septembre 1912, à I4h15, la remonte de la coupe du matin est en cours : 77 ouvriers sont encore au fond, 25 mineurs du poste de l'après-midi sont descendus. Les deux cages du puits d'extraction principal (N°1 ) sont en marche la cage montante est occupée par huit hommes. Soudain à l'étage 650 les lampes s'éteignent en raison d'une brusque chasse d'air, une fumée opaque envahit le puits. La cage continue cependant son ascension : les ouvriers arrivent au jour sains et saufs mais couverts de poussière. Le machiniste de son poste de commandement, a perçu un bruit étouffé, mais il n'a rien remarqué d'anormal, hormis un peu de poussière sortant du puits et aussitôt dissipée. Par contre au puits 2, tout proche, des dégâts font craindre le pire : les clapets de fermeture du puits sont projetés, le pan de mur du bâtiment le plus proche est soufflé, les vitres éclatent. Des projectiles divers sont rejetés: des briques tombent ainsi dans les bureaux occupés par le personnel du jour. Chacun pressent un accident au fond, et les réflexes sont immédiats. Jombart, le chef-mécanicien, fait couvrir aussitôt l'orifice du puits n°2 avec des planches et des toiles. Il vérifie le ventilateur et il constate que la dépression est tombée de 105 à 35 mm. La machine est poussée à son maximum, l'aérage ne s'améliore pas pour autant. L'on s'affaire à mettre en marche le ventilateur de réserve, mais ce dernier tourne dans le vide dans l'attente des instructions des ingénieurs de la fosse que l'on fait prévenir. M. Dupont, l'ingénieur en chef se trouve précisément sur le carreau et s'entretient avec les forgerons. Il fait prévenir le fond par téléphone qu'il descend avec ses porions vérifier l'état du puits principal et de son cuvelage.
Les sauveteurs de Liévin perdirent dans les opérations de secours, leur porion, Abraham Vital. Leur ingénieur, M. Fenzy, est à l'origine de la mise au point d'un appareil de respiration en milieu hostile, qu'il perfectionne au cours des multiples interventions dans les différentes Compagnies. (Coll. V. Régnier).
Le premier constat.
A 1.000 mètres, ils découvrent le porion
d'abouts0 Nestor Baptement grièvement brûlé, et l'homme d'abouts0 Amant,
arrivé au fond par la cage descendante, occupé à secourir des blessés.
Les porions se joignent immédiatement à eux, tandis que l'évidence d'une
terrible explosion ne fait plus de doute dans l'esprit des témoins.
Dupont, l'ingénieur de la fosse, accompagné du chef porion Botin et du
géomètre Fontaine, emprunte à nouveau la cage et remonte à l'étage 933.
Les trois hommes constatent que la communication entre les deux puits a
été ravagée : ils trouvent les portes d'aérage disloquées et parviennent
à refermer une porte relativement intacte. Ils redescendent à l'étage
inférieur toujours par la cage, pour s'entendre dire qu'un court-circuit
s'est produit par le retour de l'écurie du fond. Ils remontent par le
plan incliné 1.000-986 m pour constater que les dégâts sont également
importants dans le secteur. Un éboulement s'est produit à la carrure0 de
la voie de septième veine levant, juste au pied de la bowette montante
986-966. Des mesures sont prises pour limiter les effets du
court-circuit. Durant ce temps les porions s'affairent à secourir la
dizaine de blessés à l'accrochage, à proximité du puits, ils trouvent le
palefrenier et deux maçons sérieusement touchés dans l'écurie, dont la
porte donnant sur la bowette couchant est grande ouverte.
Dupont
poursuit son exploration avec le chef-porion Le-fait ; au pied du treuil
Acherez il découvre deux blessés. Plus loin, dans la bowette, il se
trouve arrêté par un ébou-lement derrière lequel deux ouvriers de
l'entreprise Bri-zard sont restés bloqués. Un passage est aménagé au
sommet de l'amas de terre et permet d'accéder aux travaux du couchant.
Dupont et Lefait visitent successivement la voie de dixième veine, le
recoupage de 10 à 8, la base du treuil Salmon en huitième veine et
parviennent à passer en septième veine, au pied du treuil Car-boulet, où
deux hommes, les frères Bringuet sont découverts, fortement ébranlés et
commotionnés mais vivants. Leurs compagnons de travail ne sont pas
retrouvés. M. Dupont leur laisse une lampe et poursuit sa
reconnaissance, mais il est obligé de rebrousser chemin avec Lefait car
des fumées opaques et asphyxiantes les empêchent d'atteindre le treuil
Defurne. Ils se dirigent alors vers le couchant : les chantiers sont
tourmentés, ils rencontrent de nombreux éboulements et des cadavres
jusqu'au recoupage de onzième veine qui marque la limite des dégâts. Ils
reviennent alors sur leurs pas, repartent au pied de la bowette
montante du couchant où ils constatent une nouvelle fois un éboulement
important, ne pouvant explorer d'avantage en raison des fumées les
étouffant, ils reviennent à l'accrochage. les opérations de sauvetage
s'organisent.
« La grandeur d'un métier est peut-être avant tout, d'unir les
hommes…La civilisation a fait chacun responsable de tous et tous
responsables de chacun. Ainsi cent mineurs se doivent de risquer leur
vie pour le sauvetage d'un seul mineur enseveli. Il s'agit du respect de
l'Homme au travers de l'Individu…»
Antoine de Saint-Exupéry
Durant la reconnaissance de l'ingénieur Dupont, les premiers secours sont mis en place par le délégué mineur Bocquillon, aidé du porion Pruvost et de deux ouvriers mineurs. Ils débutent leurs recherches par le quartier de la veine A, qu'ils atteignent par la bowette sud. Le chantier ne semble pas avoir été touché par l'explosion : il n'y a aucun dégât et les travaux ont été désertés. Le père Harduin part à la recherche de son fils Georges,âgé de 17 ans, rouleur en huitième veine couchant, il parvient à rejoindre le chantier de son fils par le recoupage de 10 à 8 et le treuil Salmon. Il trouve sur son chemin, vivants, le boutefeu Despretz et le mineur Ducatez, mais il découvre le corps de son fils à la tête de la descenderie Bringuet. Il poursuit néanmoins ses recherches jusqu'à la descenderie Salmon au delà de la bowette montante du couchant. Il revient finalement à l'accrochage portant la dépouille mortelle de son fils dans ses bras. Avant de remonter au jour, il signale la présence de survivants dans la zone qu'il a explorée. Du côté de la onzième veine, les travaux d'approche sont pénibles : les porions rebroussent chemin en ramenant un ouvrier de l'entreprise Bri-zard, inconscient; durant ce temps, le chef-porion Lefait est allé rechercher les deux frères Bringuet au pied du treuil Carboulet.
Le premier bilan.
Vers 16 heures, MM Léon, ingénieur en chef des
mines, et Parent, ingénieur, étudient les plans qu'on leur présente .
Ils rejoignent au fond M. Dupont qui s'affaire à dégager un éboulement
au pied du treuil Bocquillon, avec le délégué mineur du même nom. Ce
dernier est laissé sur place, avec pour instructions de dégager les
terres obstruant l'avancée des secours et de visiter le quartier de
septième levant, pendant ce temps, les trois ingénieurs se dirigent vers
le couchant. Tandis qu'arrivés au pied du treuil Acherez, MM Parent et
Dupont s'engagent dans les chantiers de septième veine, leur collègue,
M. Léon progresse dans la bowette couchant; de son côté Botin, le
chef-porion part à la recherche des survivants de la huitième veine
signalés par le père Harduin. Entre la voie de dixième et le recoupage
de onzième, MM Léon et Duflos découvrent des corps déchiquetés au milieu
des éboulements. Tous deux s'engagent dans la voie de fond de onzième
couchant, mais ils sont arrêtés par le grisou qui a envahi le quartier
qui n'est plus ventilé en raison de la destruction des portes d'aérage.
Les équipes de secours des puits voisins se mêlent aux survivants de la
Clarence : trois sauveteurs de la Compagnie de Maries explorent le côté
levant avec pour objectif la taille Chrétien, qu'ils tentent d'atteindre
par la voie supérieure. Ils ne parviennent pas à progresser plus avant
en raison de la chaleur intense. MM Dupont et Parent, accompagnés du
chef-surveillant Lefait gravissent le treuil Acherez pour accéder à la
voie Delcourt. Ils y dénombrent sept morts et trois blessés jusqu'au
pied du premier treuil Lecigne. Lefait est chargé d'organiser une équipe
de secours et il repart vers l'accrochage.
Au sortir de la fosse, un blessé, après un pansement sommaire, est transporté à l'infirmerie. (Photo l'illustration).
Pendant ce temps, MM Dupont et Parent franchissent le premier treuil
Lecigne peu endommagé, parviennent au deuxième qui a subi plus de
dégâts. Ils ne peuvent aller plus loin: les fumées envahissent le haut
de la voie Taverne, ils sont alors obligés de rebrousser chemin. Ils se
retrouvent ainsi dans la bowette couchant, où est arrivé de Liévin,
M.Fenzy0, et son équipe de sauveteurs . Ces hommes ont été spécialement
formés par la Compagnie houillère de Liévin au sauvetage en milieu
gri-souteux. Ils ont été équipés des dernières techniques (appareil
Droeger) pour progresser en milieu hostile. Fenzy est chargé de
reconnaître la nature des fumées au niveau du deuxième treuil Lecigne,
de les traverser si possible pour atteindre les tailles Gosselin en
huitième veine où de nombreux ouvriers sont restés bloqués. L'équipe des
sauveteurs progresse lentement mais reste bloquée par un éboulement
dans la voie Foucart, au sommet du treuil. La taille Gosselin ne peut
être atteinte, l'ingénieur Dupont ressent alors les premiers symptômes
d'une intoxication par les gaz, M.Fenzy, lui-même est obligé d'enlever
son appareillage. M. Parent décide de faire rebrousser chemin à toute
l'équipe qui revient à l'accrochage. De son côté le chef-porion Botin
aidé de quelques surveillants parvient à ramener de la huitième veine
couchant, le boutefeu Despretz et le mineur Ducatez retrouvés par le
père Harduin. Dans le même secteur, un feu est découvert à la taille
Niquet vers le pied du beurtiat Clodoré. Entre temps les autorités
locales sont arrivées sur place avec les ingénieurs du contrôle des
mines : MM Guindey, secrétaire général de la préfecture du
Pas-de-Calais, Codron et Béteille, substituts du procureur de la
République à Béthune, Dominique, juge d'instruction, Darnis, commissaire
spécial (de police), Manouvrier, maréchal de gendarmerie de Béthune, M.
Dessans, directeurdes services administratifs et Duffieux, ingénieur en
chef, directeur des services techniques de la Compagnie de Maries, M.
Elby, directeur des mines de Bruay, Guerre, ingénieur en chef des mines
de Cour-rières et quantité d'ingénieurs des mines du bassin, ainsi que
M. Maillard, commissaire de police d'Auchel. la situation à huit heures
et demie du soir. Un premier bilan et un examen de la situation sont
établis le soir grâce aux renseignements fournis par les sauveteurs.au
levant, tous les ouvriers de huitième veine étaient
remontés avant
l'explosion, et l'on s'évertue à passer l'éboulement obstruant l'accès
au treuil Bocquillon pour visiter la veine n°7; -au sud, le quartier de
veine A a été exploré dans sa totalité et aucune victime n'a été
découverte; - au couchant, les ouvriers des travaux préparatoires ont
été épargnés, leur quartier n'ayant pas été touché.
Par contre, en
onzième veine, la taille Chrétien reste inaccessible.La huitième veine a
été visitée en partie et l'on y a reconnu un incendie à la taille
Niquet. Pour le reste
l' incertitude est totale : en septième veine,
le haut du premier treuil Lecigne est pris dans un éboulement, au niveau
du deuxième treuil Lecigne des fumées épaisses
et toxiques empêchent
toute progression dans la taille Gosselin. L'accès à la bowette
montante ne peut s'opérer en raison d'un éboulement à sa base.-à l'étage
933 : aucune exploration n'a encore été faite.Les sauveteurs organisent
alors la progression du sauvetage; il est décidé de visiter en onzième
veine la taille Chrétien, la descenderie Salmon en huitième veine ( par
la bowette montante du couchant), la taille Gosselin en septième veine,
les tailles du sommet du premier treuil Lecigne en septième veine ( par
le treuil Acherez ), et en fin la totalité de l'étage 933.
L'horreur
Les détails ci-après ont été consignés par les auditions
des rares témoins de la catastrophe, rapportées par les sauveteurs.
Beaucoup d'entre eux, n'ont d'ailleurs pas survécu à leurs blessures.
Pendant
que M.Fenzy et ses sauveteurs reconnaissent l'étage 933, sous la
conduite du chef-surveillant Lefait, d'autres équipes formées de mineurs
des puits voisins sont envoyées sur les autres points signalés, sous la
direction de MM Poinsot et Lécrivain, ingénieurs de la Compagnie de
Maries, Waché, ingénieur de la Compagnie de Bruay-en-Artois. Avec les
premiers éléments des vérifications faites à la lampisterie, la position
des mineurs à leur poste de travail est vite déterminée. Onze mineurs
cependant n'ont pas encore été repérés, l'on suppose que trois d'entre
eux se trouvent dans la bowette couchant 933, quatre autres dans la
taille Gosselin en septième veine couchant,deux dans la taille Chrétien
en onzième veine, et deux dans le quartier de septième veine levant. Les
équipes de sauveteurs se partagent l'exploration des galeries, pour la
plupart inaccessibles en raison des fumées asphyxiantes qui se
dispersent maintenant.
A l'accrochage de 1000 mètres, sur les treize
hommes qui s'y trouvaient, trois sont sortis sains et saufs. Les dix
autres grièvement brûlés ont été remontés au jour, l'un d'entre eux,
Lefebvre Henri 16 ans, décède dès son arrivée à l'hôpital d'Auchel. Deux
chevaux gisent dans la bowette d'accrochage, un troisième, protégé dans
une écurie installée dans la galerie de contour du puits, est retrouvé
indemne et sera remonté.
Dans la bowette sud, aux abords du treuil Bocquillon, Thellier Paul,
15 ans, originaire de la Thieuloye est pris en charge, gravement brûlé.
Non loin de là, à hauteur d'un arrêt barrage, un cheval et son
conducteur sont retrouvés morts, côte à côte et portent des traces de
brûlure. Un éboulement s'est produit au pied du recoupage aboutissant au
treuil Bocquillon : l'exploration de ce chantier est alors interrompue.
Dans
le quartier de septième veine levant, le treuil Bocquillon est à peu
près intact mais a été pris dans l'effet de souffle de l'explosion. Les
deux galibots attachés à son fonctionnement sont retrouvés morts,
affreusement brûlés, ainsi que les autres ouvriers du chantier. Le 4
septembre, le porion Pruvost inspectera à nouveau les lieux, et le 9
septembre, Les ingénieurs Rémy, Michaux et Lécrivain feront une nouvelle
descente dans ce chantier à l'effet de repérer les effets de courant
d'air dûs à l'incendie de janvier.
C'est dans la bowette couchant que
les scènes les plus pénibles attendent les sauveteurs. Ace niveau
d'extraction, les dégâts matériels sont énormes. A l'entrée de la
bowette, trois cadavres sont relevés, l'un est complètement déchiqueté,
les entrailles sont mêlées à celles d'un cheval gisant à côté. Dans
l'écurie tous les chevaux sont morts, leur palefrenier est retrouvé à
quelques mètres d'eux ainsi que deux maçons qui étaient occupés à des
travaux dans les stalles. Ils rendent le dernier soupir dans les bras
des sauveteurs sans pouvoir prononcer un seul mot.
Au niveau du
recoupage du treuil, un train de berlines a été stoppé dans sa
progression; le cheval, a été tué, les intestins dispersés jusqu'à
quinze mètres en direction du puits. Le conducteur gît non loin de la
bête, les jambes brisées. Deux blessés graves, des galibots, sont
découverts dans la niche du treuil; il s'agit du tourneur et du
dé-crocheur de berlines, affreusement brûlés, ils ne survivront pas à
leurs blessures. Plus loin encore, un gros éboulement a enseveli un
train de berlines avec le cheval et son conducteur. A l'arrière de cet
éboulement, le corps du boutefeu Charles Diéval est découvert :
déchiqueté, son avant-bras droit pendant à deux ou trois mètres au delà
dans la bowette, accroché à un bois de soutènement par un morceau de son
tricot. Plus loin encore, à dix mètres au delà de la bifurcation, des
restes humains parsèment la délicate exploration des sauveteurs. Une
cuisse droite, un corps sans jambe ni bras droits, le bas-ventre arraché
et le sommet du crâne enlevé sont découverts et attribués au boutefeu
Cordonnier. Plus loin encore, c'est une main gauche de ga-libot,
semble-t-il, qui est ramassée avec un avant-bras
sectionné un peu
au-dessus du coude. Enfin, un corps de jeune garçon, ou du moins ce
qu'il en reste est emporté; il s'agit d'un galibot, sans tête, avec le
milieu du corps broyé, sans main droite; L'on pense qu'il s'agit du
porteur de lampes ou du jeune aiguilleur de la bifurcation qui était en
même temps gardien du dépôt de lampes de rechange.
Après la
bifurcation0, quatre cadavres déshabillés, les cheveux et les moustaches
brûlés, l'un d'eux avec le front ouvert et les jambes cassées, sont
recouverts d'une longue buse d'aérage disloquée. Trois autres ouvriers
sont tombés contre cette même buse, ils sont toutefois encore habillés
et ne portent pas de traces de brûlures. Le premier, assis le long de la
paroi semble dormir, la poitrine appuyée contre le tuyau d'aérage, la
tête reposant sur son bras gauche replié. Les trois premières victimes
sont les mineurs, descendus à une heure et demie pour attaquer la
descenderie au niveau du treuil Defurne, au niveau de la septième veine
couchant. La quatrième victime n'a pas été identifiée. Par contre les
trois autres ouvriers intoxiqués faisaient encore partie du poste du
matin, ils avaient travaillé à la taille Foubert dans les quartiers du
couchant, ils étaient restés sur leur chantier après le tir de deux
coups de mine quand l'explosion survint. Ils furent retrouvés par
l'ingénieur Dupont lors de sa première exploration..
Le ministre des Travaux Publics, M. Jean Dupuy, s'entretenant avec M.
Léon, Ingénieur en chef du contrôle. (Photo l'Illustration).
Dans
les travaux préparatoires du couchant, huit ouvriers travaillant pour le
compte de l'entreprise Brizard, étaient descendus à une heure et demie,
et avaient pris leur poste : trois au front de taille pour l'avancement
de la bowette (couchant), trois dans la bowette sud-ouest et deux
autres dans une voie de reconnaissance dans un serrement de la veine
n°8. Au moment de l'explosion, cinq d'entre eux parvinrent à se réunir
au niveau de l'avancement de la bowette sud-ouest. Coincés et
désemparés, ils réussirent à ouvrir une canalisation d'air comprimé, qui
les sauva momentanément. Puis, la pression baissant, ils partirent dans
la bowette couchant où ils furent arrêtés par un gros éboulement. C'est
l'ingénieur Dupont, qui leur ouvrit le passage et les sauva.
Le ministre des Travaux Publics, M. Jean Dupuy, s'entretenant avec M. Léon, Ingénieur en chef du contrôle. (Photo l'Illustration).
Les trois autres, le belge Rémy et son fils, et un compagnon de
travail eurent la présence d'esprit de gagner très vite le recoupage
d'accès à la dixième veine. Le retour d'air du quartier devait les
conduire vers la bowette montante et l'étage de 933. Fortement
incommodés par les fumées, ils rebroussèrent chemin, leur compagnon
épuisé, fut laissé sur place et fut sauvé dans le recoupage de onzième
veine par des porions formant une équipe de secours.
Cinq ouvriers
étaient affectés au quartier de onzième veine : deux au levant pour
l'avancement d'une descenderie, furent retrouvés dans le recoupage,
morts par intoxication, paraissant endormis. M. Léon fit pratiquer sur
eux la respiration artificielle vers 5 heures du soir, sans succès. Dans
le même quartier, du côté couchant, deux ouvriers qui attendaient le
passage du boutefeu à la taille Chrétien disparurent : l' on ne sut
jamais ce qu'il advint d'eux. A l'entrée de la voie de fond, deux autres
corps, non reconnus ne furent pas remontés. Les mineurs affectés à la
descenderie Bringuet, près du treuil Salmon
dans le quartier de
huitième veine couchant n'ont pas été atteints par l'explosion. Il n'en a
pas été de même pour leurs compagnons du circuit de la descenderie
Salmon et du treuil Legrand par la bowette montante du couchant, qui
sont tous tombés à leur poste de travail. Les deux frères Bringuet
purent expliquer les événements ; Le boutefeu Despretz, se trouvait dans
leur taille et venait de faire partir des mines, des mineurs étaient
restés dans les tailles Part (première levant du treuil Salmon)et
Bringuet, occupés à déblayer. Le boutefeu se dirigea alors dans la
taille Niquet (taille supérieure levant de la descenderie Salmon)
lorsque l'explosion se produisit. Les quatre ouvriers de la taille
Bringuet occupés à pelleter les terres abattues par le coup de mine,
furent précipités au bas de leur taille par un souffle d'air, accompagné
d'une détonation sourde. Dans le noir, les lampes s'étant éteintes, ils
tentèrent d'atteindre la descenderie Bringuet, qu'ils ne purent
emprunter en raison des fumées l'envahissant. Ils prirent alors le
treuil Salmon, le recoupage de 8 à 10 pour atteindre la bowette
couchant. Au milieu du recoupage, ils rencontrèrent les mineurs Part et
Bourgeois (de la taille Part), qui en revenaient. Ils retournèrent tous
sur leurs pas pour essayer de gagner les retours ou la bowette montante
du couchant par le treuil Salmon, pour retrouver de nouveau les fumées
opaques et asphyxiantes qui s'étaient, propagées entre temps jusqu'à la
voie de fond de huitième veine. Par le recoupage de 8 à 7, ils se
réfugièrent alors au pied du treuil Carboulet. L'ingénieur Dupont les
retrouva tous intoxiqués, seuls les deux frères Bringuet et Deblonde
purent être sauvés. Ce dernier ne put être réanimé sur place, remonté au
jour vers dix heures du soir, il revint à lui. Les trois autres mineurs
: Barrais, de la taille Bringuet, Part et Bourgeois de la taille Part
périrent par intoxication.
Tous les ouvriers de la descenderie Salmon
et du treuil Legrand ont été retrouvés morts. Georges Harduin, 17 ans,
retrouvé par son père, était tombé dans la voie Clodoré où il roulait,
près du sommet de la descenderie Bringuet. Non loin de là, deux cadavres
gisaient au pied du treuil Legrand. Un autre rouleur, trois autres
ouvriers affectés au creusement d'une descenderie dans le même secteur
sont retrouvés, morts par asphyxie. Ils ne portaient pas de traces de
brûlures d'après les ingénieurs Lécrivain et Waché qui les découvrirent.
Dans
le quartier de septième veine couchant, il n'y eut aucun rescapé : les
trois mineurs blessés, remontés de la voie Delcourt n'ont pas survécu à
leurs graves brûlures. Près de son poste de travail, au treuil Acherez,
le jeune galibot avait péri, plus loin, entre ce treuil et le pied du
premier treuil Lecigne, six cadavres furent découverts, ainsi que celui
du galibot donneur de tour du plano .A l'entrée de la recette
supérieure, un gros éboulement ne permit pas dans l'immédiat une
exploration rapide; Le chef-surveillant Lefait, avec une équipe de
sauveteurs s'attacha à ouvrir un passage dans les terres, vers dix
heures du soir, ils purent progresser. Ils ne trouvèrent hélas que les
corps de deux galibots, séparés par une berline culbutée et un peu plus
loin, celui d'un raccomodeur. Les trois cadavres furent emportés après
l'éboulement, deux ouvriers en portèrent un jusqu'à l'accrochage et,
alors qu'ils rejoignaient leurs quatre camarades restés sur place, la
deuxième explosion se produisit.
Le deuxième treuil Lecigne, plus abîmé que le premier n'était pas
accessible en raison de très nombreux éboulements. Les sauveteurs munis
de leurs appareils respiratoires, ne purent y évoluer efficacement. La
taille Gosselin où devaient se trouver de nombreux mineurs sur leur
chantier d'abattage ne put être visitée. L'on tenta de l'atteindre par
la bowette montante du couchant. Cette voie, à 45° était saccagée.
L'ingénieur Waché, tenta, après avoir dégagé un éboulement au petit
recoupage de base, de la visiter. Il n'y vit que des bois fracassés, et
un gros éboulement au croisement de la huitième veine, et un autre entre
les huitième et septième veines, II ne put aller plus avant. Dans la
voie de dixième veine, les quatre ouvriers de la taille Cartigny du
quartier du treuil Carboulet en septième veine, étaient couchés, face
contre terre, l'un derrière l'autre. Ces malheureux revenaient vers
l'accrochage, leur journée de travail terminée, ils sont tombés sur
place.
A l'étage 933 et dans les retours, aucun renseignement fiable
n'a pu être recueilli; en effet c'est dans la bowette couchant, à
hauteur de la veine n°2, où les sauveteurs de Liévin étaient occupés à
dégager un éboulement, que la deuxième explosion se produisit. Le
personnel remonta précipitamment au jour, avec le cadavre du sauveteur
Vital Abraham.
La deuxième explosion
A trois heures cinquante du matin, MM Léon,
Dautriche (ingénieur des poudes et salpêtres), et Parent aidés de
l'équipe de sauveteurs de Bruay dirigée par M. Ménes-sier, se trouvaient
dans le recoupage de onzième veine et le groupe se dirigeait vers le
bowette montante du couchant lorsqu'une nouvelle explosion se produisit,
vraisemblablement causée par l'incendie de la taille Niquet. Les lampes
s'éteignirent, des chasses d'air balayèrent les galeries enveloppées
aussitôt d'une épaisse poussière. Dans la bowette couchant, à l'entrée
de la voie de dixième veine, l'ingénieur Lécrivain et son équipe
ressentirent ce violent courant d'air et ils furent touchés par des
projections de petits cailloux, leurs lampes s'éteignirent
également.Tout le personnel de la bowette couchant regagna
précipitamment l'accrochage et remonta au jour. Les six sauveteurs de
Liévin, occupés à l'étage 933 à dégager la bowette couchant suite à
l'éboulement, furent
projetés à terre. Trois d'entre eux purent se
relever et rejoignirent très vite l'équipe de réserve au puits n°1.
M.Fenzy, au jour, réceptionna ses hommes et constata qu'il
en
manquait un, ainsi que l'équipe entière occupée à dégager l'éboulement
du premier treuil Lecigne en septième veine couchant. Deux groupes se
formèrent immédiate
ment pour retrouver le personnel manquant : Fenzy
se chargea de l'étage 933, la seconde, sous les ordres de M. Le Floch,
ingénieur chimiste de la station d'essais,
tenta d'atteindre le
treuil Lecigne. Le corps du sauveteur Vital Abraham fut découvert peu
avant l'éboulement à l'étage 933 : il avait succombé à une asphyxie
foudroyante,
son appareil de respiration fortement endommagé. Plus
bas à 1.000 mètres, M. le Floch fut arrêté par des berlines renversées
et une intense chaleur. Il ne put avancer plus avant ; Au jour, les
clapets du puits n°2, soufflés, furent projetés à nouveau à côté du
puits. Cette nouvelle explosion fit cinq morts : le sauveteurde Liévin,
Vital Abraham, Augustin Legay, Pierre Ledet, Augustin Delgery et Pierre
Hagebaërt de Divion. Seul le corps de Vital Abraham pourra être remonté
au jour; les autres furent ensevelis sous des tonnes d'éboulements. Les
opérations de sauvetage avaient été menées en premier lieu par les
sauveteurs de la compagnie des mines de Maries, toute proche.M. Poinsot,
ingénieur au puits 5 d'Auchel, fut le premier à descendre avec son
équipe. Il rencontra des ouvriers vivants, entr' autres Niquet, ancien
moniteur de la société de gymnastique d'Auchel, qui décéda peu après à
l'hôpital. L'équipe dirigée par M. Lécrivain, ingénieur à Rimbert,
succéda à celle du n°5, elle se trouvait au fond de la mine lors du coup
de grisou qui causa la mort du sauveteur de Liévin. Sans lumière, elle
ne parvint à atteindre l'accrochage qu'à l'aide de la lampe électrique
de l'ingénieur.
Le ministre des Travaux Publics, Jean Dupuy, arrivé sur place par train spécial d'Arras à Calonne-Ricouart, fut pris en charge par la voiture de la direction de la Compagnie des mines de Maries. Après s'être entretenu sur le carreau de la fosse de La Clarence avec M. Léon, Ingénieur en chef du contrôle, il déjeuna au siège de l'administration des mines de Maries. A son retour, la décision était arrêtée : il fallait noyer la mine.
La mort de l'ingénieur Dupont.
Entre temps, M.Dupont, l'ingénieur,
était revenu à la mine et s'inquiéta du sort des ouvriers restés au
fond en particulier du délégué mineur Bocquillon et de ses hommes. Ces
derniers étaient rentrés chez eux prendre du repos, un malheureux
concours de circonstances n'avait pas fait transmettre l'information.
L'ingénieur descendit aussitôt et retrouva à l'accrochage le chef-porion
Botin, qui attendait le retour des sauveteurs de M. Fenzy, partis
chercher leur camarade Abraham. M. Dupont, malgré les mises en garde qui
lui furent prodiguées par son chef-porion, décida de partir seul dans
le quartier du levant. Botin, inquiet, envoya le mineur Leblond revenant
des quartiers du couchant, à la rencontre de l'ingénieur. Leblond
revint très vite en précisant qu'il avait appelé jusqu'au milieu du
treuil Bocquillon mais qu'il n'avait pas obtenu de réponse. Botin
dépêcha alors deux porions, tout juste descendus, à la recherche de
l'ingénieur. Les deux hommes parvinrent au niveau du treuil,
poursuivirent leur progression dans la voie Bourgeois sur une vingtaine
de mètres, mais ils rebroussèrent chemin en raison du mauvais air
circulant dans la bowette, et ils revinrent vers l'accrochage.
Botin,
pressentant le pire, les renvoya une nouvelle fois du côté de la voie
Delmaire : les porions parcoururent la descenderie Delannoy et revinrent
bredouilles sur leurs pas. Une équipe de sauveteurs de Bruay descendit à
son tour et rencontra les porions à l'accrochage vers 7h35 du matin,
heure où se déclencha une troisième explosion, emplissant à nouveau les
galeries d'une épaisse fumée. Tout le personnel regagna précipitamment
la cage et remonta au jour.
Le corps de M. Dupont fut retrouvé le
vendredi à 10 heures du matin peu de temps avant que ne se déroulent les
obsèques des victimes. Il était couché à côté des corps de deux
galibots qu'il avait sans doute tenté de sauver
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