Aujourd’hui lorsque je suis sur la place de la Gare (que je n’arrive toujours pas à appeler place du général De Gaule) à Lens, je ne peux m’empêcher de regarder ce qui reste de l’Apollo : une façade aux fenêtres murées, laide, délabrée, décrépie, triste avec derrière, un terrain vague dont il semble que l’on ne sait pas vraiment quoi faire. Alors, c’est avec nostalgie que je me replonge au tout début des années 70 lorsque le cinéma était la principale distraction dominicale des jeunes lensois que nous étions…
Un dimanche après-midi sur place de la gare de Lens. On arrive de partout, on se regroupe par bande, par amitié, par amour aussi. On discute, on rit, on fume comme des grands que nous pensons être.
Nous sommes devant le cinéma Apollo au tout début des années soixante-dix. Nos copains ne nous ont pas donné rendez-vous mais on savait qu’ils seraient là. Pas besoin de SMS, de mail pour se rejoindre, c’est l’habitude et surtout l’amitié qui nous réunit.
Chacun est venu de son coron : du 4, du 9, du 11, du 12, du 14 et même de Liévin ; parfois en bus, plus souvent à pied car en 1970, quand on a 18 ans et même un peu plus, il n’y a n’a pas de voiture dans notre monde.
Pour nous, l’Apollo c’est notre sortie du dimanche. Un autre cinéma vient d’ouvrir pas loin, rue de Paris, le Colisée. Mais nous, quand on dit ‘’on va au cinéma’’, c’est toujours à l’Apollo, c’est plus populaire. Quant au Cantin de la rue Emile Zola, on n’y pense même pas, ce n’était pas notre quartier.
La séance à l’Apollo va débuter vers dix-huit heures de manière à permettre à ceux qui sont allés ‘’au match’’ d’être à l’heure pour le début. Ce n’est pas loin, Bollaert, mais il y a du monde depuis que notre équipe du Racing est revenue parmi les grandes de deuxième division.
‘’Tout le monde est là ? Untel ne vient pas ? – Non, il travaille cet après-midi’’. Dans notre univers qui semblerait aujourd’hui surréaliste, tout le monde travaille à 18 ans et parfois même le dimanche.
Les études, le BAC, ce n’est pas pour nous, enfants des corons. Les plus chanceux ont eu le BEPC ; les autres sont au boulot depuis déjà plusieurs années. Mais pas à la mine, on n’embauche déjà plus depuis un certain temps. Pourtant, on n’imagine pas Lens sans le charbon bien que des bruits annoncent la fermeture prochaine de la fosse 1, la première construite par les Mines il y a près de 150 ans.
Mais aujourd’hui, ce n’est pas notre préoccupation : de toute manière, du boulot, il y en a partout. Le mot ‘chômage’ n’existe pas en 70 : il n’est pas rare de voir un garçon ou une fille quitter l’école le jour de ses 16 ans pour être au travail le lendemain. Pas besoin d’années de formation ou d’apprentissage, le boulot, il l’apprendra sur-place, dans la boite, avec les anciens.
Mais aujourd’hui, c’est dimanche et le dimanche, nous allons au cinéma.
Cette fois, tout le monde est arrivé. Les grilles s’ouvrent, on entre dans l’immense hall. L’un de nous est désigné, c’est son tour de faire la queue. Chacun lui donne un billet ou une pièce de 5 francs pour régler sa place. Quand il arrive devant la dame enfermée dans sa cage de verre, il peut saliver devant les plateaux de bonbons, cacahuètes et autres friandises présentés bien en évidence.
‘’Dix parterres, s’il vous plait Madame’’. Nous, on prenait des parterres, en bas de la salle pas loin de l’écran, les places les moins chères. D’autres groupes étaient plutôt ‘balcon’. Mais, nous, c’était toujours ‘parterre’. L’Apollo, à la fin des années 60, ce n’était qu’une salle, une grande salle de plus de 2500 places.
On s’installe pour la première partie, une ouvreuse nous a désigné nos places mais on savait déjà où aller : l’Apollo, on connait bien maintenant ! Actualités, court-métrage ou dessin animé et pour finir, les réclames de Jean Mineur avec ce petit bonhomme bien de chez nous qui n’arrivera donc jamais à lancer son pic dans le ‘1000’ de la cible. Encore un clin d’œil à la mine, cette mine présente chaque jour dans notre vie, dans notre quartier, dans nos familles ….
C’est l’entracte. C’est l’heure d’aller allumer une cigarette dans le hall et de profiter de ces friandises vues à la caisse. On choisit ce qui est le moins cher. Certains prennent un ‘ski’, un esquimau en français. Pour d’autres, ce sera le paquet de cacahuètes qu’ils dégusteront pendant le film sans penser aux dames qui demain, devront ramasser toutes les épluchures sous les sièges.
Puis ça recommence : le grand film. Une heure trente à regarder des images en couleur lancées sur l’immense écran par ce faisceau lumineux provenant du fond de la salle. ‘L’enfant sauvage’, ‘Borsalino’, ‘Les Choses de la Vie’, ‘le Boucher’, ‘le Mur de l’Atlantique’ ,’Le Clan des Siciliens’ ou ‘Hibernatus’. Gabin, Jean Yanne, Bourvil, De Funès, Montant, Annie Girardeau, Romy Schneider, Belmondo, Piccoli et j’en passe….
La salle est silencieuse mais parfois des énergumènes poussent des cris ou se chamaillent. Ça ne dure pas longtemps car ils sont rapidement rappelé à l’ordre pas ce monsieur qu’on ne voit pas arriver dans le noir. Son rôle est d’assurer la tranquillité des spectateurs et d’éviter les chahuts. Son attitude force le respect et personne n’osera jamais le provoquer. Le faisceau lumineux de sa lampe s’allume sur le fautif. Un seul regard, un seul mot de lui et le silence revient.
Vingt heures, le film est fini. On sort. Certains repartent à pied, d’autres prennent le bus juste en face. Ceux là croiseront ce brave homme, figure incontournable de la place de la Gare, et auront droit à un chouchou qu’il tirera à l’aide d’une pince de son panier en osier accroché au cou.
En groupe, bras dessus-dessous pour les couples, nous longeons la rue de la Paix puis traversons le Boulevard Basly que nous descendons vers le carrefour Bollaert.
La destination : l’arrêt obligatoire de toute l’équipe au n°118, au ‘Basly’ le café de Monsieur Pénin. Le petit café est toujours plein comme un œuf le dimanche soir.
Menthe à l’eau pour les filles ou même demi-pression comme pour les garçons. Dans l’atmosphère enfumée de nos paquets de Royales Menthol ou de Françaises, certains flirtent, d’autres se disputent des parties de baby-foot ou essayent de ne pas faire ‘tilt’ sur l’assourdissant flipper. Dans le brouhaha, on essaye de se faire entendre au son des tubes de Claude François, de Johnny, des Beatles ou de Polnareff que diffuse un juke-box qu’alimentent nos pièces de vingt centimes.
Puis tout le monde se sépare. Quelques uns achèteront un paquet de frites à la baraque près du carrefour Bollaert pendant que les autres rentreront directement chez eux ou raccompagneront leur copine ou leur fiancée. A pied bien sur ! Ces quelques kilomètres nocturnes les aideront à s’endormir avant de reprendre le boulot le lendemain, chacun de son côté.
Mais déjà ce soir, tous sauront que dimanche prochain, il se retrouveront tous ensemble vers dix-sept heures … devant l’Apollo.
C’était à Lens … au début des années soixante-dix.
Aujourd’hui, lorsque les touches de votre clavier inscrivent sur la page d’accueil de Google les mots ‘jardin public de Lens’, les liens qui apparaissent vous envoient vers le parc de l’université Perrin, les anciens grands bureaux des mines.
Or pour beaucoup de lensois, le jardin public, le vrai est celui qui se trouve entre le carrefour Bollaert et le Pont Césarine et que certains appellent maintenant ‘le square Chochoy’ alors qu’aucune décision officielle ne lui ait jamais donné ce nom.
Le jardin public laisse pour beaucoup de lensois et de lensoises le souvenir du lieu où l’on flânait, rarement seul, souvent bien accompagné et où l’ont s’asseyait sur les bancs publics ‘en se fichant pas mal du regard oblique des passants honnêtes’.
Voici l’histoire du jardin public de Lens.
Du relais de poste aux pépinières
Dans la première moitié du 19ème siècle, à la croisée des chemins de Liévin à Lens et d’Arras à Lille, à l’ouest des remparts de la ville de Lens dans le quartier Saint Laurent se trouvait un relais de poste aux chevaux et une auberge installés dans une ancienne ferme entourée de champs.
Aussitôt sa constitution en 1852, la Société des Mines de Lens achète de nombreuses parcelles dans le secteur et devient propriétaire des bâtiments. Elle transforme les locaux et y installe ses bureaux centraux et un logement pour son directeur, Edouard Bollaert.
A la fin du siècle, un plus grand édifice est construit quelques centaines de mètres plus au nord et les services centraux de la compagnie minière y déménagent. L’ancien relais est abandonné.
Après la première guerre mondiale, Arthur Choquet (1875-1951), ancien élève de l’École nationale d’horticulture de Versailles est nommé chef des jardins et plantations de la compagnie minière avec le grade d’ingénieur horticole. Afin de produire les arbres, arbustes et autres plantations nécessaires à l’ornement des cités, des gares, des parcs et des jardins, il propose à Edouard Bollaert de créer une pépinière avec des grandes serres à l’emplacement de l’ancien relais où les effets de la guerre ont tout détruit. C’est à l’époque un site privé dont l’accès est interdit au public.
Ces pépinières sont encore exploitées par la société des mines de Lens lorsque la seconde guerre mondiale éclate. Les murs qui entourent le site en rendent la vue impossible de l’extérieur.
Le Jardin de la Pépinière
Lors de la nationalisation des compagnies de charbonnages en 1946, les HBNPC décident d’abandonner la pépinière. Un accord verbal est conclu entre les Houillères et la municipalité d’Auguste Lecœur. Celle-ci décide d’aménager le secteur quasiment détruit par les bombardements pour en faire un espace public de promenade et dénomme le lieu ‘Jardin de la Pépinière’. Voici ce qu’en dit le maire de Lens d’ l’époque : « Notre jardin public : Réalisation obtenue grâce à la volonté et aux démarches municipales, notre jardin public est vite devenu un lieu de promenade pour les lensois. Ses parterres et ses allées fleuris font l’admiration des nombreux visiteurs.
Ceux qui critiquaient notre initiative parce que paraît-il, les gens allaient tout démolir sont bien obligés de convenir que les lensois aiment leur jardin et même qu’ils le surveillent. Le bac à sable qui fait la joie des tous petits, le terrain de jeu avec ses balançoires, ses cordes à pas-de-géant qui font le bonheur des bambins sont également grandement appréciés par les mamans qui peuvent surveiller leurs petits loin de la poussière et des voitures de la rue.
Et le coin des vieux n’est pas le moins fréquenté. Les jeux de boules installés par la municipalité ont de nombreux adeptes et les manilleurs y passent des après-midis agréables. C’est là une des réalisations dont nous pensons avoir le droit d’être fier ».
Alors, allons faire un tour dans le jardin de la Pépinière en 1946 :
Cela n’empêche par Auguste Lecœur d’être battu aux élections municipales de 1947. En 1949, l’équipe de son successeur, le Docteur Ernest Schaffner adopte la proposition de ce dernier de louer le Jardin de la Pépinière aux HBNPC en vue de régulariser la situation juridique de ce terrain. Le bail est signé pour 18 ans pour un loyer d’un montant d’un franc par an.
La municipalité déclare dans un bulletin de 1953 avoir encore amélioré le jardin de la Pépinière en « ouvrant le jardin public sur la voie publique par l’exécution d’une clôture grillagée et d’une porte donnant sur la voie d’accès au stade Bollaert ». Elle ajoute : « Cette réalisation a amélioré l’aspect du carrefour et permet aux usagers de la voie nationale 25 à grande circulation d’admirer les parterres et plantations du jardin ». Elle précise que ces travaux ont été entièrement réalisés par les employés municipaux.
Déménager ou modifier ?
Au début des années 60, la circulation automobile au niveau du carrefour Bollaert oblige la municipalité à prendre des dispositions. Elle envisage l’ouverture d’une seconde voie en direction d’Arras et de Liévin et donc de revoir les plans du secteur. Elle adopte le projet d’Ernest Schaffner de déplacer le jardin public près du pont de Douai sur le site de l’ancienne piscine, détruite lors des bombardements de la seconde guerre mondiale.
Après le décès brutal du Docteur Schaffner en septembre 1966, André Delelis, le nouveau maire fait enterrer ce projet. Le jardin public restera au carrefour Bollaert. Pour élargir la chaussée, il est alors décidé de rogner sur le trottoir et de créer à la place une allée entre les arbres et le jardin lui-même.
Le bail avec les HBNPC étant arrivé à expiration, un nouveau est signé le 1er janvier 1967 pour une location annuelle renouvelable par tacite reconduction. Le jardin s’améliore par la création d’une petite fontaine.
En 1981, le jardin public devient officiellement une ‘’zone d’espace vert protégé’’ et le 29 juin, le Conseil Municipal approuve la proposition de rachat de cet espace de 16 500 m2 par la ville aux Houillères pour un franc symbolique.
Trois ans plus tard, une salle est construite pour être mise à disposition des associations. Elle porte le nom de Bernard Chochoy, ancien maire de Lumbres et sénateur du Pas-de-Calais.
Il faut ensuite attendre près de 20 ans pour voir de nouvelles modifications importantes au jardin public. Il est complètement redessiné en juillet-août 1988. A cette occasion, les grilles qui l’entouraient sont enlevées et une grande fontaine au centre d’un arc de cercle installée. Le coût des travaux s’élève à 3 millions de francs (460.000 euros).
Derrière les terrains de tennis, une stèle rappelle que c’est dans ce lieu que le 11 août 1944, 18 employés (16 femmes et 2 hommes) de la Coopérative des Mines de Lens ont péri sous les bombardements ‘alliés’.
L’impact du Louvre-Lens
Avec l’ouverture du Louvre-Lens, un cheminement pour les piétons et les cyclistes est créé de la gare au musée. A cette occasion, le trottoir du jardin public est de nouveau élargi à quatre mètres. Une voie de déambulation destinée aux piétons y a été aménagée, une bande cyclable créée et l’éclairage public remplacé.
Dans cet espace vert, un lieu idéal pour faire une petite pause désaltérante sur le chemin du musée, une fontaine est installée en mai 2013.
En lien avec la CALL, la société Veolia Eau – Eaux de l’Artois a sollicité des artistes régionaux pour sa réalisation. La proposition de Raoul Csizmadia, artiste habitant à Avion, a été retenue. La fontaine, faite de bois et d’acier pour une meilleure intégration dans le contexte environnemental, mesure quatre mètres de haut et permet de distribuer en permanence de l’eau potable plate et gazeuse à une température de 10º.
Raoul Csizmadia nous parle de son œuvre : ‘’ La borne fontaine de Lens a été nommée « Perles de pluie’’. Elle représente une grande goutte d’eau et quatre bulles d’air qui évoquent l’eau plate et l’eau gazeuse. Véolia dans son appel d’offre voulait une sculpture qui met l’homme devant son avenir : protection de la nature et de l’environnement. L’eau et l’air ont bien convenu à leur désir. Une autre borne au jardin public de Liévin s’appelle ‘’Gouttes de rosée’’, symbolique de deux feuilles d’arbres et des gouttes de rosée dessus toujours dans le même esprit.
C’est la communauté de commune qui a assisté Véolia et c’est ensemble qu’ils m’ont désigné car j’avais déjà sculpté les Pigeons de Liévin, une flamme de la résistance toujours à Liévin et une sculpture croisière à Arras (avenue Kennedy). J’ai aussi livré une sculpture pour les 21 mineurs tués en 1965 à Avion en inox miroir. Je fais travailler une quinzaine de personnes à des degrés divers (des informaticiens, chefs soudeur, manutentionnaires mais aussi les terrassiers, grutiers, électriciens, ingénieurs, camionneurs, spécialistes laser). L’industrie et l’art peuvent se compléter et chacun doit trouver son compte ‘’.
L’eau distribuée peut être collectée dans des flacons spécialement mis à disposition dont l’assemblage des différents éléments est réalisé dans un établissement à caractère social : l’ESAT Ernest Schaffner de Lens (Etablissement et Service d’Aide par le Travail).
Et ensuite ?
Lors d’une réunion public en 2011, M. Guy Delcourt, alors maire de Lens, avait répondu à la question d’un riverain que le jardin public du carrefour Bollaert n’était pas menacé …. pour l’instant. Les modifications qui sont encore à venir dans ce secteur (dont le percement d’un second passage sous les voies de chemins de fer) confirmeront-elles cette affirmation ?
Le jardin public restera-t-il non seulement un lieu de promenade mais aussi un espace où de nombreux lensois retrouvent parfois avec nostalgie leurs souvenirs d’antan ?
Remerciements pour leur collaboration à cet article : Aurélie David, responsable du service des archives de la ville de Lens, Maxime Pruvost et Raoul Csizmadia.
Aujourd’hui, il n’y a pas de défilé pour la fête du travail, tout est calme en ville et dans les corons. ″Lens est devenue la ville la plus sage de France″ dira un journaliste parisien. Il faut dire que les militaires sont partout comme en ville et dans les corons.
Depuis le 10 mars et la catastrophe qui s’est produit dans les galeries de la Compagnie des Mines de Courrières, les mineurs sont en grève.
De nombreux troubles ont eu lieu ces jours derniers. On a frôlé l’insurrection lorsque les extrémistes menés par Benoit Broutchoux ont manifesté violemment en ville. Un militaire, le lieutenant Lacour a même été tué par une pierre lancé par un manifestant.
Georges Clemenceau, le ministre de l’intérieur, a interdit toute manifestation pour le 1er mai Le préfet Dureault était à Lens hier où il a réglé avec le général Chamer, commandant des troupes, les derniers points concernant la journée du premier mai : aucun rassemblement, aucune manifestation, aucun cortège ne seront tolérés.
Mais le Jeune Syndicat de Broutchoux maintient son défilé.
Ils ne seront que quelques dizaines à se rassembler devant la maison du Peuple, rue de Paris mais vite dispersés par la troupe. Emile Basly, qui est à la fois le maire de Lens et le représentant du Vieux Syndicat plus modéré, a appelé au calme et damandé aux mineurs de rester chez eux.
La foire de Liévin, prévue aujourd’hui, a aussi été annulée.
La grève s’essouffle depuis quelques jours. Les mineurs sont fatigués et leurs enfants ont faim. Les négociations sont toujours en cours mais dix-sept mille mineurs sont retournés au travail ce matin car le 1er mai n’est pas encore un jour férié, il ne le sera qu’en 1947. Lorsque les mineurs remontent du fond et sont raccompagnés chez eux par la troupe, quelques grévistes les attendent pour les huer mais il n’y a plus d’incident.
Le bruit coure que Basly aurait demandé publiquement la reprise aux conditions exigées par les compagnies. Pourtant, les revendications du début de la grève sont loin d’être satisfaites. En outre, Elie Reumaux, le directeur de la Société des Mines de Lens affirme qu’il sera procédé à des licenciements pour les responsables des grèves.
Dans une salle de la cité de la fosse 12, Casimir Beugnet fait le point devant cinq cents mineurs. Malgré les dernières déclarations de la direction, les ouvriers crient : »Nous voulons travailler, assez de grève ! ». Pour la première fois, une assemblée décide de la reprise du travail à Lens. Elle sera suivie de beaucoup d’autres.
Un Premier Mai pas comme les autres à Lens ……………
En ce lundi 1er septembre 1958, c’est la rentrée des classes à Lens comme partout en France. Pour la première fois, après deux années passées à l’école maternelle du 14, je vais à la ‘grande école’. Je rentre à l’école du 12 qui ne s’appelle pas encore Jean Macé.
Ce matin, je me suis levé plus tôt que d’habitude. J’ai pris mon petit déjeuner sur la grande table de la cuisine, des tartines de beurre trempées dans du Banania. Ensuite, je me suis habillé. Mes vêtements étaient prêts sur une chaise : ma chemisette, mon pull-over, ma culotte courte et mes grandes chaussettes. Puis j’ai enfilé pour la première fois ma blouse. La blouse était obligatoire à l’école primaire, symbole d’une égalité entre tous les enfants des corons.
Enfin voici l’heure tant crainte, l’heure de partir à l’école, l’heure de changer de vie, l’heure de prendre à la main ma ‘carnasse’, cette sacoche encore presque vide ce matin et qui va m’accompagner chaque jour jusqu’en juillet prochain.
Ma carnasse est légère mais ce soir, elle sera alourdie d’une ardoise avec son éponge et ses craies, de cahiers, des livres de lecture et de calcul, d’un plumier comprenant des crayons de bois, une gomme et l’indispensable porte-plume qui, plongé dans l’encrier en porcelaine du bureau, nous fera dessiner les pleins et les déliés sur notre cahier à grandes lignes.
Ce soir, il y aura du travail à la maison pour mes grandes sœurs : couvrir les nouveaux livres, mettre les protège-cahiers, couper les buvards et coller partout ces étiquettes sur lesquelles est inscrit en script : ‘Claude DUHOUX, CP, école de la fosse 12’.
Ce matin, pour la première et unique fois, ma mère m’accompagne pour me faire voir :
… La route, celle qui sera obligatoire : la rue Fermat, la rue des Saules puis la rue des Marronniers, tout autre itinéraire est formellement interdit et jamais nous ne penserons à braver cette interdiction.
… L’école des garçons : l’entrée se trouve sur le Grand Chemin de Loos. Il faut être là tôt, avant l’ouverture de la grande grille par le directeur à 8h20. ‘’Donc t’as pas intérêt à traîner en route si tu ne veux pas être puni !’’ me met en garde ma mère. Chaque jour, à 8h30 précises, la cloche sonnera l’heure de se ranger devant la porte de la classe. Tant pis pour ceux qui seront en retard, ils devront passer par le bureau du directeur avant de rejoindre leur classe.
Ma mère reste avec moi dans la cour jusqu’à ce qu’on nous demande de nous aligner deux par deux … puis elle s’en va. Le reste n’est plus son problème : ça se passe entre l’instituteur et nous, entre l’autorité et l’enfant ; l’autorité du maître que jamais les parents de l’époque ne remettaient en cause.
Je reste seul. Non, pas seul ! Nous sommes une trentaine de gamins du même âge alignés les uns derrière les autres … tous aussi intimidés. J’en reconnais quelques uns qui étaient avec moi en maternelle. Mais ici, c’est plus grand, on est plus nombreux et il y a des grands à qui on n’osera même pas parler sauf pour ceux qui ont la chance d’avoir un grand frère.
Pourtant un grand, il y en a un dans notre rangée. Il est un peu bizarre. Je le connais, il habite dans ma rue, la dernière maison avant le cimetière. Il restera assis au fond dans la classe toute l’année. Pour lui, on a installé un bureau plus grand que le notre. Aujourd’hui, on dirait qu’il est handicapé mental. A l’époque, on disait : ‘’Il n’a pas toute sa tête’’ ou ‘’Il n’est pas normal’’. Jamais il n’arrivera à lire ou à écrire. Il restera en CP jusqu’à ses 14 ans, jusqu’à la fin de la scolarité obligatoire. Après ….. C’est ainsi que l’on traitait le handicap en 1958 ….
Celui qu’on n’appelle pas encore entre nous ‘ch’maît’ arrive. Il est vieux mais gentil. Il s’appelle Monsieur Legrand. Vêtu de sa blouse grise serrée par une ceinture, les grosses lunettes noires sur le nez, il porte sur la tête un béret incliné sur un côté. On ne le verra jamais dans la cour sans son béret quelque soit le temps.
Comme il habite sur le parvis derrière l’église du 12, nous, ses élèves, ferons souvent un bout de chemin avec lui à la sortie des classes. Lui, ça l’amusera certainement de voir ces gamins qu’il aime tant lui proposer de porter son cartable, sa carnasse ! Nous, ça nous rendra fier de l’accompagner.
Monsieur Legrand a une jambe plus courte que l’autre. Personne ne sait ni ne saura pourquoi. Pour compenser et éviter de boiter trop, il longe toujours le bord des trottoirs, un pied sur celui-ci, l’autre dans le caniveau !
C’est l’heure ! Le maître nous fait entrer. C’est avec appréhension que nous prenons possession de notre classe. Quel changement par rapport à l’école maternelle : finies les grandes tables de huit et les petites chaises à accoudoirs. Là, des bureaux en bois à deux places parfaitement cirés, alignés en trois rangées de part et d’autre du poêle à charbon font face à l’estrade où est perché le bureau du maître. Derrière sa chaise, un grand tableau noir et une carte de France. Cette carte de France où figurent les 90 départements et leurs chefs-lieux que nous saurons réciter par cœur dans quelques années ainsi que les fleuves et leurs affluents, les montagnes avec le point culminant du pays, le Mont Blanc dont on apprendra qu’il est haut de 4810 mètres.
On ne s’assoit pas où on veut. Le maître nous appelle par ordre alphabétique et nous désigne notre place. On pose sa carnasse le long au pied du bureau, on s’assoit et on croise les bras.
Première règle : pour parler en classe, il faudra lever le doigt et attendre que le maître nous y autorise. Et le maitre, on l’appellera toujours ‘Monsieur’ en le vouvoyant. En 1958, il est hors de question d’appeler l’instituteur par son prénom et de le tutoyer. On n’appelle pas ça du respect ou du savoir-vivre : c’est comme ça, c’est tout.
Cette fois, c’est parti pour une année ! Année au cours de laquelle, chaque jour de la semaine sauf les jeudis et dimanches, nous allons apprendre à lire, à compter mais aussi à vivre ensemble dans le respect les uns des autres.
Chaque matin, au début de la classe, il y aura la leçon de morale que nous copierons sur notre ‘cahier du jour’. La phrase quotidienne qui nous apprendra comment nous comporter en ce monde restera inscrite à la craie au tableau jusqu’à la fin de la journée juste sous la date : En CP, c’est par exemple : ‘’Je prendrai soin de mes affaires’’, ‘’J’écouterai toujours le maître’’, ‘’Je serai un élève attentif’’ ….
La récompense du travail bien fait : un petit bout de carton de couleur que l’on appelle un ‘bon-point’ ; et au bout de dix bons-points, une image ! Quelle fierté d’en avoir une de plus que son voisin. Mais il faut aussi faire attention au ‘classement’. Si sur la double page cartonnée qu’il ramènera à la maison chaque mois, les notes et les appréciations du maître et du directeur seront bonnes, l’élève aura droit au billet d’honneur pour sa bonne conduite et son application au travail.
Mais pour mériter cela, il faudra bien travailler. ‘’Pour avoir un beau métier’’ nous disait-on. ‘‘Pour ne pas être mineur’’ nous précisait-on. Pour bien travailler, certains iront ‘à l’étude’. L’étude, c’est une heure supplémentaire le soir, quatre jours par semaine. Là, contre une minime participation financière, le maître nous conseillera pour faire nos devoirs sur le ‘cahier du soir’.
Les après-midi seront longs pour ceux qui iront ‘à l’étude’ ! Alors, ils emmèneront leur goûter, le plus souvent, une tartine de confiture et un fruit. Mon goûter, je le transportais dans une mallette, un petit sac de toile bleue qu’avait cousu ma mère.
Mais aujourd’hui, c’est la rentrée ! Tout le reste, on l’apprendra au fur et à mesure. Au fur et à mesure que nos maîtres feront des enfants que nous sommes des adolescents. Dans cinq ans, certains iront en sixième au collège ou au lycée, d’autres resteront jusqu’à leurs 14 ans, jusqu’au certificat d’étude. Parmi ces derniers, beaucoup rejoindrons le centre de formation des galibots des mines de Lens.
Voilà donc comment se passait la rentrée des classes à l’école primaire de la fosse 12, à Lens, en 1958.
Comme chacun sait, les puits de la société des mines de Lens furent totalement détruits lors de la première guerre mondiale. D’abord inondés par les Allemands dès leur arrivée en octobre 1914, ils durent subir les tirs d’obus et les premiers bombardements alliés par la suite. Avant leur retraite en 1917, les troupes allemandes entreprirent de n’en faire que des carcasses d’acier et de pierres.
L’occasion aujourd’hui de revenir sur ce que furent les ‘fosses’ des mines de Lens avant et après la Grande Guerre.
L’exploitation de la fosse no 1 débuta en 1853, un an après la constitution de la société. Elle se trouvait alors à l’extérieur de la ville, dans le quartier Saint Laurent le long du Grand Chemin de Béthune à Lens. N’étant plus en service que pour les besoins du personnel et de l’aérage, elle a été fermée en 1971.
La fosse no 2 fut ouverte en 1858. Appelée aussi ‘le Grand Condé’, c’est le puits qui se trouvait le plus proche du centre ville. C’est pourquoi les habitants des corons qui l’entouraient furent surnommés par les autres mineurs ‘les fiers-culs’ ou ‘les bas de soie’. Le chevalet de la fosse 2 a été abattu en 1976.
La fosse 2 bis est plus récente puisqu’elle n’a été mis en service qu’en 1904. Elle disparut également du paysage lensois en 1976. Il y eut également une fosse 2ter sur le territoire de Loison-sous-Lens qui cessa d’être exploité en 1967.
La fosse 3 des mines de Lens faillit se trouver à Eleu-dit-Lauwette. Son forage fut rapidement arrêté à la profondeur de 21 mètres suite à la découverte de vestiges archéologiques. Il ne fut jamais repris et à son emplacement a été construit après la première guerre le Centre de Secours des Mines.
C’est donc au nord de Liévin en direction de Loos-en-Gohelle que l’on creusa la fosse 3 ‘Amé Tilloy‘ en 1860. Une vingtaine d’année plus tard lui fut adjointe la fosse 3bis dont le chevalet est toujours visible aujourd’hui. La fosse 3 restera à jamais le site de la dernière grande catastrophe minière de l’histoire du bassin du Nord-Pas-de-Calais le 27 décembre 1974.
La fosse 4 des mines de Lens a été creusée à partir de 1864 au sud de Lens en direction d’Arras. Elle portait comme particularité par rapport aux constructions antérieures d’avoir son système de descente enfermé dans un bâtiment. C’est dans ce puits que le 31 janvier 1986 des mineurs remontèrent pour la dernière fois sur le territoire de la ville de Lens.
La fosse 5 était sur la commune d’Avion. On pouvait voir dès 1876 son important bâtiment jugé à la pointe de la modernité à l’époque par Elie Reumaux. En 1898, la fosse 5 bis était ouverte à quelques mètres de là et servit toujours de fosse de service jusqu’en 1986. C’est en partie sur les friches ‘du 5’ que fut installé le parc de la Glissoire.
La fosse 6, située à Haisnes possédait la particularité d’être la seule à ne pas avoir été percée par la société des mines de Lens. Lors du début de son exploitation, en 1869, elle était l’unique fosse de la compagnie des mines de Douvrin rachetée en 1873 par celle de Lens.
Les fosses 7 et 7bis étaient jumelées comme des siamoises. Conçues en 1879 à Wingles, elles commencèrent à être exploitées 3 ans plus tard et ce jusqu’en 1960. Les deux beaux chevalets sont détruits en 1977.
Les fosses 8 et 8bis virent le jour en 1879 à Vendin-le-Vieil. Munies d’un seul chevalet avant la première guerre, elles eurent droit à deux différents lors de la reconstruction. Comme pour la fosse 3 à Liévin, l’un des chevalets était en acier, l’autre en béton pour l’aérage. Dès 1958, on ne remontait plus de charbon de la fosse 8 dont les installations disparurent en 1974.
La fosse 9, bien que née en 1886 et détruite en 1983, est certainement aujourd’hui la plus célèbre sur le territoire de la ville de Lens. C’est en effet sur son carreau que l’on trouve aujourd’hui le Louvre-Lens.
Retour à Vendin-le-Vieil pour trouver la fosse 10. Cependant, il fallait avoir le nez fin pour la remarquer. En effet, elle se trouvait parmi les installations de la centrale électrique des mines de Lens. Elle fut la première à cesser son activité dès 1946 mais continua à servir de puits d’aérage jusqu’en 1958. Elle disparut lors de la destruction totale des installations de la centrale vers 1980.
La fosse 11 : son accès était sur Lens mais son carreau sur Loos-en-Gohelle. Exploitée dès 1894, elle eut l’honneur de recevoir la visite du président de la République Félix Faure en 1898 dont la descente dans les galeries fut largement rapportée par la presse de l’époque. Accompagnée du puits 19 depuis 1955, le carreau de la fosse 11, bien que fermé en 1986, est aujourd’hui l’une des vitrines du Bassin minier Nord-Pas de Calais inscrit depuis juin 2012 sur la Liste du patrimoine mondial de l’UNESCO.
Autre puits particulier : celui de la fosse 11bis. Creusé en 1907 à Liévin, il n’a jamais remonté une seule gaillette de charbon ! En effet, il a toujours servi pour l’aérage pour les fosses 11 (située à 875 mètres) et 3 (éloignée de plus de 1300 mètres).
La fosse 12 est aussi particulière : alors que le puits et les installations se trouvent sur le territoire de Loos-en-Gohelle, la cité minière qui en dépend avec ses corons, ses écoles, son église, son dispensaire sont dans le périmètre lensois. Exploitée à partir de 1er janvier 1894, son puits est remblayé en 1980 et le chevalet abattu un an plus tard.
Le chevalet de la fosse 12bis était visible depuis le porche de l’église Saint Edouard. Situé route de Béthune, près du centre de formation des mines de Lens, il fut percé vers 1905 pour servir d’aérage à al fosse 12 jusqu’en 1976. Les installations furent détruites en 1984 pour laisser place à une zone industrielle.
Le forage de la fosse 13 a débuté en 1906 à Hulluch. Elle porte le nom d’Elie Reumaux ancien agent général puis président du conseil d’administration de la compagnie minière lensoise. Devenue un puits de service pour la fosse 18, elle ferma en même temps que celle-ci en 1976 et le chevalet fut détruit en 1983.
Les installations de la fosse 13bis sont toujours visibles à Bénifontaine au chemin du Pont d’Avison. Elles ont été inscrites aux monuments historiques le 23 octobre 2009. Comme le 11bis, le 13bis n’a toujours servi qu’à l’aérage ; d’abord pour la fosse 13 puis pour la fosse 18 jusqu’en 1958. (Aucune photo de la fosse 13 bis en activité).
La fosse 14 est située sur la route de La Bassée au nord-ouest de Lens. Creusée à partir de 1906, la fosse 14 remonta ses premières gaillettes un an plus tard. Dès 1938, elle cessait d’être exploitée pour n’être utilisée qu’au service du personnel et ce, jusqu’ en 1967. C’est avec tristesse que d’anciens mineurs de la cité regardèrent le dynamitage du puits en 1974.
Le 14bis est aussi à Loos-en-Gohelle, visible de la route de La Bassée. Son forage débuta également en 1906 car elle servait à l’aérage de la fosse 14 jusqu’en 1962. A part son chevalet détruit comme la plupart, les installations sont toujours visibles aujourd’hui.
Les fosses 15 et 15bis de Loos-en-Gohelle sont entrées dans l’histoire de la première guerre mondiale en mai 1915. Une invasion anglaise avait permis de reprendre le secteur dit ‘côte 70’ aux allemands mais l’avance fut repoussée quelques jours plus tard. Les anglais surnommaient la structure «Tower Bridge» en raison de sa ressemblance avec le célèbre pont de Londres. Ses deux chevalements jumeaux, hauts de 75 mètres, sont uniques dans le bassin minier. Le puits 15 est remblayé en 1962 mais le 15bis continua d’assurer l’entrée d’air pour le 12 puis pour le 19 jusqu’en 1972. Les installations furent détruites en 1976.
La fosse 16, aussi sur Loos-en-Gohelle, n’était exploitée que depuis 2 ans lorsque la première guerre mondiale éclata. On lui donna le nom d’Albert Motte, l’un des présidents du conseil d’administration de la compagnie. Mise en servie en 1912, la fosse 16 cessa son activité en 1958. Le puits fut remblayé en 1961.
Les deux autres fosses lensoises ont été construites par les HBNPC après la nationalisation de 1946.
La fosse 18 – 18bis fut un grand siège de concentration dès son ouverture en 1954 à Hulluch. Elle était composée de deux puits dont, cas particulier dans la région, les molettes se trouvaient sur le même chevalet. La fosse no 18 – 18bis cessa d’extraire en 1976 et ses puits furent remblayés en 1978. Quelques bâtiments, le château d’eau et une reproduction du chevalet sont encore visibles aujourd’hui.
Enfin, la fosse 19, siège de concentration, fut construite en 1954 et commenca à extraire en 1960. Elle ne possédait pas de chevalet mais une tour en béton haute de 66 mètres. Elle fut la dernière des mines de Lens à fermer le 31 janvier 1986. Le lavoir et le triage ont été détruits mais la majorité des installations furent conservée et rénovée pour en faire aujourd’hui l’un des sites majeurs du bassin minier.
Il semble que la fosse 17 des mines de Lens n’ait jamais existé. Est-ce que, parmi les abonnées à ce blog, quelqu’un pourrait nous en donner l’explication ?
Aujourd’hui, nous quittons Lens. Oh ! Rassurez vous, nous n’allons pas loin : quelques kilomètres en direction d’Arras et nous ne pouvons rater sur notre droite cette construction originale composée de deux grandes colonnes.
Alors, profitons de ce magnifique site pour revenir sur la grande histoire du Monument Canadien de Vimy.
Lors de la première guerre mondiale, les troupes canadiennes arrivent en Europe dès décembre 1914 et servent dans le nord de la France et en Belgique. Elles participent notamment à la seconde bataille d’Ypres d’avril 1915 et à la bataille de la Somme d’avril-mai 1916. Du 9 au 12 avril 1917, après deux tentatives infructueuses des Alliés, les quatre divisions canadiennes, réunies pour la première fois au combat, réussirent à s’emparer de la crête de Vimy, une position densément fortifiée par les Allemands à 145 m d’altitude.
Avant même la fin de la guerre, les militaires canadiens ont érigé sur les sites de bataille des monuments à la mémoire des disparus. Le Monument commémoratif de l’Artillerie canadienne en est un exemple. Construit pendant l’hiver 1917-1918 et inauguré par le général Byng au printemps 1918, il se trouve au carrefour Les Tilleuls à Thélus.
L’idée du gouvernement canadien était que les monuments commémoratifs érigés sur des champs de bataille ne servent pas glorifier la guerre, mais plutôt exprimer le deuil et rendre hommage aux disparus qui avaient donné leur vie pour les vivants. Le nombre de morts canadiens durant la première guerre mondiale est de 60 000 parmi les 625 000 soldats. Environ 7 000 d’entre eux sont enterrés dans une trentaine de cimetières militaires situés dans le Pas-de-Calais.
Dès le mois de mai 1917, la commission impériale des sépultures de guerre (CISG) est créée et a pour but d’enterrer dignement les soldats morts au combat dans des cimetières permanents. Elle est aussi chargée de prévoir la façon dont on pourrait commémorer les morts et les disparus. Réunie à Londres en 1918, elle approuve la construction de cinq mémoriaux ouverts au public.
En 1920, la “Canada Batlefields Memorial Commission” (Comité des monuments commémoratifs canadiens érigés sur des champs de bataille) organise un concours pour désigner les monuments canadiens qui seront érigés sur les différents sites des combats.
En octobre 1921, la CBMC adopte pour l’un de ces sites le projet de Walter Allward qui inclue vingt personnages symboliques associés à la guerre. Ceux-ci sont intégrés à un socle massif en pierre surmonté de deux immenses piliers représentant le Canada et la France. Son projet est présenté sous forme d’une maquette de plâtre.
En 1922, le gouvernement français octroie au Canada le libre usage à perpétuité d’une parcelle d’un hectare 71 située sur le terrain massacré des champs de bataille entre les communes de Vimy et de Givenchy-en-Gohelle. La CBMC décide que la crête de Vimy appelée aussi ‘cote 145’ recevrait le monument d’Allward.
La somme de 1,5 million de dollars investie dans cette construction est obtenue en grande partie par une souscription ouverte au Canada. La “Canada Batlefields Memorial Commission” a utilisé l’excédent de la souscription à la construction du temple protestant de la rue Victor Hugo à Lens.
Le site de Vimy est le point culminant des collines de l’Artois et offre des vues imprenables sur le bassin minier dans un rayon de 35 kilomètres. Le monument est entouré aujourd’hui d’un parc de 110 hectares constitué d’une multitude d’arbres et d’arbustes importés du Canada et plantés chacun par un de ses ressortissants.
Selon bon nombre de gens, le monument commémoratif du Canada à Vimy est l’œuvre la plus remarquable de Walter Allward. Il y a consacré 14 ans de sa vie.
Au moment où il remporte le concours, Allward est un sculpteur déjà bien connu pour ses mémoriaux. Né à Toronto en 1875, il a suivi des cours de sculpture à la New Technical School de cette ville entre 1891 et 1893 et loué son premier atelier en 1894. En 1910, il sculpte le monument commémorant la participation du Canada à la guerre en Afrique du Sud. Il sculpte aussi des bustes et des statues de Canadiens célèbres comme celui de Brantford en l’honneur de Graham Bell, l’inventeur du téléphone.
En 1925, les travaux commencent. Peu à peu, à la pioche et à la pelle, le terrain est creusé, nettoyé des débris de la guerre et aplani. Il a fallu trois ans pour uniquement creuser les fondations et construire la plate-forme.
Allward confectionne au Canada des statues de plâtre de taille réelle à l’aide de moules qu’il a lui-même créés. Il retouche ensuite les statues à la main.
Les œuvres de plâtre sont ensuite expédiées à Vimy pour être reproduites en pierre par des artisans locaux. De vastes hangars sont construits pour abriter les tailleurs de pierre et les sculpteurs.
II faudra onze mille tonnes de béton et de maçonnerie pour ériger la base du monument et cinq mille cinq cents tonnes de pierre, importée de l’île de Brač en Croatie, pour les pylônes et les sculptures.
Les blocs de pierre sont apportés sur le site par une ligne de chemin de fer à voie étroite dont une partie servit à l’approvisionnement des troupes en munitions pendant la guerre. Les wagonnets sont tirés par des chevaux.
Une fois taillés, les blocs sont hissés afin de confectionner les deux colonnes à l’aide de grues également conçues sur-place.
Quand les deux pylônes sont en place, ils sont enfermés dans un abri provisoire afin de protéger les sculpteurs travaillant en hauteur.
Ces deux pylônes représentent le Canada et la France et culminent 40 mètres au-dessus de la base du monument. Ils pèsent près de 6 000 tonnes et le socle plus de 10 000. La figure la plus élevée – l’allégorie de la paix – domine la plaine de Lens d’environ 140 mètres.
Sur le devant du monument, la statue d’une femme voilée, tournée vers l’est, vers l’aube d’un nouveau jour représente la jeune nation canadienne pleurant ses enfants tombés au combat.
Les sculptures au sommet des piliers représentent les vertus universelles que sont la foi, la justice, la paix, l’honneur, la charité, la vérité, la connaissance et l’espoir. Sur la face ouest du mémorial sont sculptées les figures d’un homme et d’une femme représentant les parents des soldats tombés.
Sur chacune des faces du monument ont été gravés au burin les noms des victimes des combats, 11 285 jeunes canadiens qui ont laissé leur vie en France lors des combats du 9 au 12 avril 1917.
Sur son socle, sont gravés dans la pierre, en français et en anglais, les mots suivants :
‘’À LA VAILLANCE DE SES FILS PENDANT LA GRANDE GUERRE, ET EN MÉMOIRE DE SES SOIXANTE MILLE MORTS, LE PEUPLE CANADIEN A ÉLEVÉ CE MONUMENT’’.
Le 26 juillet 1936 à 14 h 15, le monument est inauguré et la figure représentant le Canada dévoilée par le roi du Royaume Uni Édouard VIII en présence du président français Albert Lebrun et du ministre canadien de la Justice Ernest Lapointe. Une foule compacte de Canadiens, de Français et de Britanniques estimée à près de 100 000 personnes s’est rassemblée autour du mémorial.
Une fanfare militaire française et des gardes de la cavalerie algérienne, les spahis, montés sur des chevaux blancs, prennent position en face de la Garde royale canadienne de part et d’autre de la large allée qui mène les dignitaires à la terrasse sur laquelle est érigé le monument.
Parmi les milliers de gens rassemblés pour l’événement, plus de 3 000 anciens combattants venus en pèlerinage organisé par la Légion canadienne occupent fièrement la place d’honneur dans l’amphithéâtre, sous le regard des membres de leur famille installés sur les pentes.
A l’arrivée d’Edouard VIII, la Garde Royale Canadienne exécute le salut royal, et la musique entonne le ‘God Save the King’ puis le ‘Ô Canada’ pendant que le roi passe en revue les militaires avant de descendre vers le tombeau.
Le roi accueille ensuite le président Lebrun alors que les fanfares entament La Marseillaise.
Chacun prononce alors un discours radiodiffusé dans le monde entier et dans lequel ils appellent à la paix dans le monde.
Après son discours, Edouard VIII procède au dévoilement du monument, tandis que les troupes se mettent au garde-à-vous. La sonnerie aux morts se fait alors entendre et est aussitôt suivie d’un moment de silence.
Deux escadrons de l’Aviation royale du Canada survolent alors le monument à basse altitude dans un bruit assourdissant, les pilotes saluent les autorités par quelques figures acrobatiques.
Après le départ des autorités, la cérémonie doit se terminer par des remises de gerbes au pied du monument devant les troupes au garde à vous. Mais la foule est si dense que les soldats peinent à rester immobiles tant ils sont écrasés par les spectateurs et la manifestation doit être écourtée.
Lors de la deuxième guerre mondiale, le mémorial est conservé malgré les craintes que les allemands ne le détruisent. Il reçoit même la visite du feld-maréchal Erwin Rommel puis celle d’Adolf Hitler, Hermann Göring et des membres du siège social du parti nazi le 2 juin 1940.
A proximité du monument, des tranchées reconstituées ainsi qu’une partie des souterrains ayant servi lors de la bataille peuvent être maintenant visités. Les vestiges de tranchées et les cratères laissés par les obus rappellent la violence exceptionnelle des combats.
En face du mémorial, une stèle a été élevée à la mémoire des morts de la division marocaine qui avait pris une première fois la crête en mai 1915 mais avait dû ensuite se replier, faute de renforts.
Ayant fait l’objet d’une importante restauration à partir de 2004, le mémorial est inauguré de nouveau en avril 2007, au cours d’une cérémonie marquant le 90e anniversaire de la bataille de Vimy. La reine Elisabeth II, le Premier ministre canadien Stephen Harper et son homologue français Dominique de Villepin participent à cette manifestation.
Un homme aurait pu participer à cette commémoration : le dernier survivant de la bataille d’avril 1917, John Babcock. Il est mort en février 2010 à l’âge de 109 ans.
Le mémorial de Vimy est l’un des deux seuls sites historiques situés à l’extérieur du territoire canadien à être reconnus par la Commission des lieux et monuments historiques du Canada. Il figure depuis 2012 sur les billets de banque de 20 dollars.
Les œuvres originales en plâtre confectionnées par Walter Allward sont aujourd’hui exposées au musée canadien de la guerre, salle de la Régénération à Ottawa, la capitale du Canada.
Aujourd’hui encore, des jeunes Canadiens viennent régulièrement passer l’été dans le Pas-de-Calais pour servir de guides sur le mémorial.
Le guide émotionnel du territoire de Lens-Liévin vu et raconté par ses habitants est sorti mercredi dernier. Il a été présenté par M. Sylvain Robert, Président de la CALL et maire de Lens et M. Bertrand Petit, Président de Pas-de-Calais Tourisme.
Géré de main de maître par Mélanie Martini, chargée de projets à la mission Louvre-Lens Tourisme, ce guide est issu d’une idée de la directrice artistique de Strange Cargo, Brigitte Orasinski qui en avait déjà publié un sur la ville de Folkestone.
Initié par la Mission Louvre-Lens, on trouve dans ce recueil près de quatre cents histoires très courtes qui sont autant de témoignages vécus par le passé et reliés à un site connu ou inconnu, important ou minime du territoire de la Communauté d’Agglomérations de Lens-Liévin. Chaque texte est illustré d’une photo d’aujourd’hui de ce même site.
Le lensois normand et quelques amis comme Bernard Ghienne, Christian Vallez, Gérard Tredez Maurice Devos, Muriel Labenda, Serge Barrois ont eu le plaisir de participer à la rédaction de certains textes en compagnie de célébrités locales comme Guy Delcourt ou Daniel Leclercq.
Le guide est disponible à Lens, au musée du Louvre bien sur mais aussi au Furet du Nord, Boulevard Basly et à l’Office de Tourisme de Lens-Liévin, rue de Lille.
1915 : il y a 100 ans, Lens était allemand et ce, depuis octobre 1914. Un rappel en 50 images de ce qu’était Lens cette année là.
La présence des troupes allemandes dans la ville ….
Les officiers réquisitionnent les plus belles demeures….
Et les hommes de troupe au haras du notaire Tacquet
Chaque jour, des concerts dans les rues de Lens….
… et des pillages
L’occupation des carreaux de fosses avant leur destruction
Installation d’artilleries dans les quartiers et en ville
La création d’un cimetière militaire route de Douai ….
Où les morts sont amenés par dizaines chaque jour ….
Puis vinrent les premiers bombardements de la ville
… et dans les cités minières
Où des soldats allemands posent fièrement avec un obus anglais
Tandis que la guerre fait rage aux portes de la ville ….
on assiste au triste passage en ville de prisonniers français
En fin d’année 1915, Lens est une ville déjà bien abimée
Et c’est malheureusement loin d’être fini !
En 1841, au cours d’un forage réalisé chez madame de Clerc à Oignies est découvert le gisement de houille du Pas-de-Calais. En 1852, sont constituées la Société des Mines de Dourges, la Compagnie des Mines de Courrières et la Société des Mines de Lens. Dans la même période d’autres compagnies apparaissent à Béthune, Liévin, Carvin, Marles ou Bruay. Ces compagnies ont des besoins urgents de main-d’œuvre. De nombreux ouvriers, surtout d’origine rurale, arrivent de partout en France afin de trouver dans le bassin minier un emploi garantissant le gîte et le couvert pour toute la famille : les premières cités sont construites dans ce qu’on appellera bientôt les corons.
Au départ, la population minière est formée surtout d’individus déracinés, souvent illettrés, sans tradition de luttes, habitués à subir les évènements avec résignation. Aucune loi, aucune règlementation ne viennent gérer les conditions de travail. Le mineur est entièrement à la disposition de la compagnie tant au travail que dans son logement. Les femmes et les enfants sous-payés sont également exploités, travaillant comme les hommes au fond des galeries. La durée du travail qui est de 11 heures par jour, six jours par semaine depuis la loi de 1848 est rarement appliquée. Les accidents, souvent mortels, sont nombreux.
Pourtant, c’est cette concentration d’hommes qui jouera un rôle essentiel dans la naissance du syndicalisme. Il n’est pas encore question de changer la société mais tout simplement de vivre mieux.
En 1864, une loi proclame la suppression du délit de coalition et le droit de grève est accordé en France mais par manque d’organisation, d’unité chaque mouvement est très fortement réprimandé. L’utilisation de l’armée, à la demande des tout-puissants directeurs des compagnies, est monnaie courante. Les grévistes sont arrêtés et emprisonnés. Les sanctions vont souvent jusqu’au licenciement et l’expulsion de toute la famille des cités minières.
Des idées nouvelles, rapportées par Emile Zola ou Victor Hugo entre autres, apparaissent alors comme le socialisme ou l’anarchisme. Des groupes commencent à se révolter contre l’injustice de la société capitaliste. Pour Karl Marx, les travailleurs doivent se grouper en parti de classe. Ces courants de pensée donnent à la classe ouvrière une base et un idéal de vie qui contribueront à l’essor du syndicalisme dans les années 1880. Les ouvriers qui n’acceptent pas les conditions de travail tentent de s’organiser et de s’opposer à leurs dirigeants.
En septembre 1882, à l’initiative d’Arthur Lamendin, mineur compagnie de Liévin, est créée la première chambre syndicale des mineurs à Lens. Puis le 24 octobre 1883, Émile Basly, le meneur de mineurs d’Anzin fait partie des militants réunis à Saint-Étienne pour fonder une Fédération nationale des Chambres syndicales des Mineurs de France.
En 1884 éclate la grande grève des mineurs d’Anzin qui inspira Emile Zola pour son roman ‘Germinal’. C’est pour la corporation minière un cuisant échec malgré 56 jours de grève. Aucun autre mouvement de grande ampleur ne sera mené pendant les quatre années qui suivent cet échec.
Cependant, cette grève entraîne la promulgation de la loi du 21 mars 1884, dite loi Waldeck-Rousseau, qui accorde aux syndicats un statut légal reconnu. Le 14 septembre, le Syndicat des Mineurs du Pas-de-Calais est fondé, avec Arthur Lamendin comme secrétaire général. Ce dernier en subira les conséquences puisqu’il sera licencié par la compagnie de Liévin.
Il faut attendre 1889 pour revoir les mineurs se mobiliser. Cette année là, la forte croissance industrielle amène une augmentation de la demande et donc du prix du charbon ce qui entraîne pour les compagnies une progression de la production et un besoin de main d’œuvre. Les mineurs se sentant indispensables veulent leur part du gâteau.
Le 10 octobre 1889, une grève se déclenche aux mines de Lens et s’étend rapidement aux autres compagnies du Pas-de-Calais. Dirigé par Lamendin, Basly et les autres leaders du syndicat, ce mouvement, contrairement aux précédents n’est pas marqué par la violence et n’entraîne aucune dérive. Cette attitude est cruciale pour l’évolution du syndicalisme minier. Le 23 novembre, les mineurs redescendent au fond en ayant obtenu une augmentation de salaire de 10% pour tous et la suppression des ‘longues coupes’ (journée de travail prolongée pour bénéficier de primes supplémentaires) et le maintient dans leur logement des veuves de mineurs décédés au travail.
Ce mouvement a attiré l’attention du gouvernement de Sadi Carnot et le 8 juillet 1890 une loi institue les délégués mineur, élus, avec mission de surveiller les conditions de sécurité, ce qui remet en cause la toute puissance patronale.
En 1891, Emile Basly est élu Président du syndicat et Arthur Lamendin est confirmé comme secrétaire général. L’organisation peut alors compter sur 30000 adhérents.
Le 27 novembre 1892, les syndicats des deux départements du bassin s’unissent et forment le ‘Syndicat des Mineurs du Nord et du Pas-de-Calais’ dont le siège est fixé à Lens, dans l’estaminet tenu par l’épouse de Casimir Beugnet, rue Decrombecque.
Cependant l’année 1893 va ramener tout le monde à la raison. Une nouvelle grève est déclenchée le 14 septembre contre l’avis des responsables du syndicat et emmenés par des anarchistes. Elle concerne une nouvelle fois surtout les salaires car les compagnies sont parvenues à raboter l’augmentation de 1889 par l’instauration d’amendes décidées au coup par coup par le chef-porion.
Les directeurs de compagnies ne veulent discuter qu’avec les représentants du syndicat officiel. Ce mouvement sera un désastre : non seulement aucune avancée ne sera obtenue mais les compagnies vont imposer dès la reprise du travail des conditions pénibles. Près de 500 mineurs sont licenciés et doivent quitter leur coron du jour au lendemain avec femmes et enfants.
Le syndicat est tenu pour responsable de l’échec. Lamendin et Basly doivent s’expliquer publiquement, on les accuse d’avoir empêché le mouvement de se développer et d’aller vers la grève générale et surtout de penser plus à leurs places de députés qu’à leurs devoirs envers les mineurs. Le nombre d’adhérents est diminué des deux tiers pour tomber à 10000.
D’autre part, une action est menée par le préfet du Pas-de-Calais Bernard Courtois et le procureur général de la cour d’appel de Douai, E. Chenest en vue de dissoudre le syndicat et d’arrêter ses leaders. Mais, par peur de réactiver le conflit, le Garde des Sceaux Casimir-Perier qui brigue le poste de Président de la République décide de ne pas poursuivre la procédure.
Durant les dernières années du siècle, le syndicat tente de retrouver son influence. Quelques conflits éclatent dans le bassin mais aucun grand mouvement, aucune grève générale n’est constatée. Les responsables du syndicat sont maintenant reconnus tant par les mineurs que par les dirigeants des compagnies. Ils parviennent à éviter certains conflits en privilégiant la négociation à l’affrontement. Les responsables tiennent des conférences à la maison du peuple, rue de Paris à Lens.
Outre Arthur Lamendin et Emile Basly, les responsables de l’organisation sont alors Florent Evrard, Henri Cadot, Casimir Beugnet, Séraphin Cordier, Alfred Maës, Léon Degraux, Charles Goniaux, Uriane Soriaux, Henri Mailly, Jacques Louart ou encore Edgard Sellier.
C’est en 1902 que l’on voit apparaître le nom de ‘vieux syndicat’. Certes, Lamendin a 58 ans et Basly 56 mais ce n’est pas leur âge qui importe. La responsable est la Fédération Syndicale des Mineurs du Pas-de-Calais qui vient d’être créée après le congrès de la CGT de Montpellier qui a placé des militants anarchistes à sa tête. Rassemblés derrière Benoît Broutchoux, l’organisation révolutionnaire prend rapidement le nom de ‘jeune syndicat’.
L’opposition entre les deux fédérations est farouche et virulente. Le jeune syndicat n’hésite pas, par l’intermédiaire de son journal, l’Action Syndicale à critiquer ouvertement les responsables du syndicat des mineurs, les traitants de ‘baslycots’ à la solde du patronat et les accusant de requêter les mineurs pour remplir les caisses du syndicat.
Le 27 septembre 1902, à Commentry en marge du congrès qui donne naissance au Parti Socialiste de France, se tient dans une salle voisine le congrès national des mineurs. En réponse à une nouvelle baisse des salaires, le principe d’un mouvement national est adopté. Le lendemain même, les délégués des mineurs syndiqués du Pas-de-Calais et du Nord se réunissent à Lens au nombre de 140. Une nouvelle fois, c’est contre l’avis de Lamendin, Basly et leurs amis que la grève générale est décidée pour le mois suivant.
Plus de 70 000 mineurs refusent de descendre. Cette puissante grève va marquer l’année 1902 : présence de la troupe, incidents entre grévistes et non grévistes, injures entre militants des deux syndicats font partie du quotidien.
La grève est un nouvel échec. Quelques semaines plus tard, les mineurs retournent dans les galeries sans rien n’avoir obtenu du patronat.
Basly et Lamendin sont de nouveau désignés comme responsables de ce nouvel échec. Beaucoup de mineurs quittent le vieux syndicat pour rejoindre les amis de Broutchoux.
La grande grève de 1906 engendrée par la catastrophe des mines de Courrières marque de nouveau l’opposition entre ‘Baslycots’ et ‘Broutchoutistes’. Si les premiers dialoguent avec Elie Reumaux, le représentant des directeurs des compagnies minières, les seconds prônent la révolte et n’hésitent pas à avoir recours à la violence : attaques contre les possessions des compagnies, saccage des propriétés des dirigeants comme celle d’Elie Reumaux à Lens, bagarres avec les forces de l’ordre qui conduit au décès d’u lieutenant Lautour, insultes et sévices contre les non-grévistes, leurs familles et leurs habitations et agression des élus du vieux syndicat.
Georges Clemenceau envoie 30 000 militaires dans le bassin Minier pour ramener l’ordre. Broutchoux et certains de ses amis sont emprisonnés à Béthune. Les directeurs des compagnies exigent de ne négocier qu’avec les représentants du vieux syndicat.
Après 55 jours de grève, le travail reprend. Les syndicats ont obtenus quelques avancées sur les salaires et sur les conditions de travail et de sécurité dans les mines.
Tout au long de cette grève, le jeune syndicat n’a cessé de demander l’union des deux organisations, ce qu’ont toujours refusé les partisans de Basly. Lors du congrès d’Amiens de la CGT en octobre 1906, une motion « condamne l’attitude du Réveil du Nord (aux mains du député-mineur Emile Basly, ennemi déclaré de la CGT) ».
Finalement, c’est en 1908 que la fédération des mineurs rallie la CGT, pour devenir la ‘Fédération Nationale des Travailleurs du Sous-sol’. Cependant, bien que de nombreux dirigeants et militants quittent le vieux syndicat pour rejoindre la CGT, Basly refuse la réunification décidée au niveau national ; le syndicat du Pas de Calais vit alors isolé pendant plus de deux ans. Il faut attendre 1911 la réunification. Le nouveau siège se trouve alors à la Maison Syndicale de Lens dont la construction vient juste de se terminer.
Le vieux syndicat à vécu mais d’autres luttes attendent Emile Basly, Arthur Lamendin et leurs amis.
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