Liévin, 27 décembre 1974 : Triste anniversaire
En tant que fils, petit-fils et arrière petit-fils de mineur, il y a des commémorations historiques qui ne passent pas inaperçues.
Il y a 45 ans, le 27 décembre 1974 a eu lieu la plus grande catastrophe minière en France d’après-guerre.
Hommage à ces 42 victimes de la catastrophe de Liévin et aux milliers d’autres en 3 siècles exploitation minière.
Noël 1974, les mineurs bénéficient de cinq jours sans descendre au fond. Dans les familles, c’est fête, et plus encore dans les familles polonaises, car le 26 c’est la Saint Etienne, la fête nationale.
Vendredi 27 décembre, il faut se remettre au travail. 90 hommes étaient descendus à 710 mètres de profondeur, en ce premier jour de reprise du travail après les fêtes de Noël, afin de préparer le chantier pour l’abattage. Moins d’une cinquantaine d’entre eux remonteront vivants à la surface…
A 6 h 19 , un coup de grisou suivi d’un coup de poussière se produit au fond d’une galerie de la fosse 3, dite Saint-Amé du siège 19 du groupe de Lens-Liévin. À 8 h, la nouvelle se répand dans les corons. Les familles qui accourent se heurtent aux grilles fermées…
Au fil des heures, la liste des victimes s’allonge : 42 morts âgés entre 25 et 52 ans et 8 blessés. Cette tragédie laissera aussi 40 veuves et les 116 orphelins dans la plus grande détresse. Les mineurs employés sur les tailles voisines sont mobilisés pour les secours mais leur aide demeure limitée. Ils sont assaillis par les épouses et les proches des mineurs absents : on donne un nom, on demande des détails, on espère encore que le père, le mari, le fils en a réchappé.
Très vite, la première caméra de télévision est sur les lieux.
Toute une région en deuil
Le 31 décembre à 9h30, des milliers de personnes sont rassemblées sur la place de l’Hotel de Ville de Liévin, pour les obsèques des victimes de cette tragédie.
Le délégué mineur de la fosse 3, parlant au nom de toutes les organisations syndicales du Bassin, s’interroge sur les conditions de sécurité dans les mines :
« La réglementation actuelle est-elle suffisante, les connaissances et les mesures de sécurité sont-elles suffisamment développées ? … Nous devons mobiliser toutes les énergies, toutes les ressources nécessaires pour que ce dur et noble métier de mineur puisse s’accomplir dans le respect absolu de la personne humaine, pour que, plus jamais, les mineurs ne soient victimes de ce que certains appellent la fatalité ».
L’enterrement lieu en présence de Jacques Chirac, premier ministre, qui promet que « toute la lumière sera faite » et « toutes les conséquences tirées ».
Monsieur Darras, député-maire de Liévin déclare « Il ne faut plus que, pour un mineur, gagner sa vie soit aussi affronter la mort … ».
Quelles étaient les conditions de travail des mineurs, en 1974 ?
A la Direction régionale des Houillères, c’est le silence absolu. Dans les médias, rien ne filtre et les élus locaux ne sont pas plus loquaces !
Normalement, le mineur travaille avec des gants spéciaux et porte des chaussures renforcées, ou des bottes, qu’on utilise dans les secteurs où il y a de l’eau. Mais le problème, c’est de s’en procurer ou de les remplacer. Les accidents matériels ne se comptent plus. Les moyens sont quasi inexistants : manque de matériel et de personnel disponible. On nettoie les motrices sans garde-corps, le matériel de soutènement n’est pas toujours livré en quantité suffisante, ni adapté au lieu de travail. On travaille « à découvert »…
Et comme dans Germinal, encore à en 1974, si les mineurs veulent gagner leur vie, ils doivent négliger l’étaiement de la taille, les « prix de tâche » étant peu élevés. Dans une taille, on utilise des explosifs pour faire sauter des roches afin de tenir la cadence et accélérer le rendement. Avant le tir, tous les ouvriers sont censés sortir de la taille… mais pour gagner du temps, on éloigne seulement les ouvriers les plus proches du lieu de l’explosion, et même les installations continuent à fonctionner ! Une rupture de tuyauterie à air comprimé accompagnée d’un dégagement de poussière au moment de l’explosion, et c’est la mort !
Au fond de la mine, des portes dites d’aérage canalisent l’air nécessaire à la respiration des hommes et à l’évacuation de l’air vicié ; elles doivent toujours être dans la position fermée. Malgré tout, les portes sont très souvent ouvertes, là aussi, pour aller plus vite.
Les règles de sécurité apprises au centre d’apprentissage ne peuvent être appliquées au travail. « Ici, tu n’es pas à l’école, tu es à la fosse ! ». Il faut donc travailler « avec les moyens du bord » et obéir aux ordres, quels qu’ils soient, sous peine de sanctions, une amende, une retenue sur la paie, ou un poste plus pénible.
La population réclame la vérité.
Tout d’abord les responsables évoquèrent un coup de poussier. L’utilisation du marteau-piqueur et plus encore des haveuses mécaniques augmentait considérablement la présence de fines particulières de carbone dans les mines. Hautement inflammables, elles favorisaient les explosions dévastatrices.
Mais, très vite, les experts en arrivent à une autre conviction. Les corps remontés du fond sont été autopsiés : les autopsies révèlent la présence de grisou. L’accident est donc lié à un coup de grisou. Bien sûr, comme d’habitude, les responsables des Charbonnages de France évoquent la fatalité.
Du côté des gueules noires, pas question de faire payer les lampistes !
L’instruction judiciaire est finalement confiée au juge d’instruction Henry PASCAL, qui avait défrayé la chronique lors du sordide assassinat d’une adolescente à Bruay-en-Artois le 5 avril 1972. Ce dernier descend dans la fosse habillé en mineur.
Très vite les langues se délient : la surveillance des chantiers aurait laissé à désirer et plus grave encore, les mesures de grisoumétrie n’ont été que partiellement effectuées…
Le jeudi 5 juin, le juge Pascal inculpe le directeur du siège 19 dont dépend la fosse 3 bis. pour « homicide et blessures involontaires ». Inculpé ne veut pas dire coupable ; au directeur de siège de faire disparaître les présomptions de responsabilité qui pèsent sur lui.
Le juge Pascal est rapidement dessaisi. L’affaire est finalement renvoyée devant le tribunal de Béthune le 3 novembre 1980, soit six ans après la catastrophe.
Le 23 janvier 1981, le tribunal de Béthune prononce la « faute inexcusable de l’employeur », la Société des Houillères du Nord et du Pas-de-Calais, qui est déclarée civilement responsable. C’est une première !
Mais la société fera appel, et le jugement définitif qui surviendra en 1984 n’établira finalement pas « la faute inexcusable des Houillères », à la grande colère des familles, et du monde ouvrier.
Le seul à payer sera l’ingénieur responsable de la fosse de Liévin, condamné à 10.000 francs d’amende pour « négligence en hommes et en matériel pour détecter la présence de grisou dans ce puits ».
Tous les ans, la ville de Liévin commémore ses victimes qui sont encore dans tous les esprits, lors d’une cérémonie solennelle, devant la stèle Saint-Amé. Habitants, anciens mineurs, familles des disparus, pompiers, élus et représentant syndicaux se réunissent pour un moment de recueillement.