Le courage d’Octavie
7NOV
Exceptionnellement aujourd’hui, le Lensois-normand est plus normand que lensois. En ces temps de commémorations de l’armistice de la Première Guerre mondiale, je reviens sur un fait très peu connu : la seule bataille (en fait, elle s’est déroulée en deux épisodes) de la Grande Guerre qui s’est déroulée sur les terres de la Normandie. Elle fit quatre morts côté Français et deux chez les Allemands.
Début septembre 1914, sitôt l’envahissement du nord-est de la France, le commandement allemand décide d’envoyer des expéditions militaires motorisées derrière les lignes franco-anglaises. Leur objectif est couper les voies de communications pour paralyser le déplacement des troupes et leur ravitaillement.
Un commando de treize soldats allemands commandés par le capitaine Walther Tiling voyage dans trois automobiles avec plus de 500 kilos d’explosifs. Ils ont pour mission de faire sauter le pont métallique d’Oissel sur la Seine, à 15 kilomètres au sud de Rouen. Un des véhicules, tombé en panne près de Beauvais, est abandonné sur place avec ses hommes.
Dans la nuit du 15 au 16 septembre 1914, les deux autres voitures font halte pour bivouaquer dans la forêt de Lyons, près du village de Neuf-Marché.
Le 16 septembre, vers 8h30 du matin, Octavie Delacour, une brave paysanne âgée de 56 ans, quitte sa demeure sur la commune de Martagny, près des Andelys dans l’Eure pour se rendre à Ferrières-en-Bray.
Arrivée près du hameau des Flamants du village de Neuf-Marché, elle tombe nez à nez avec un soldat qui, baïonnette à la main, lui fait signe de s’arrêter. Pour elle, ce ne peut être qu’un Allemand qu’elle identifie à la couleur de l’uniforme identique à celle qu’elle a connu lors de la guerre de 1870. Octavie aperçoit également deux autres sentinelles cachées dans les buissons. Elle s’enfuie vers Neuf-Marché où elle avertit le maire Couverchel de la présence de ces soldats prussiens. Le garde-champêtre, envoyé sur place, revient en déclarant n’avoir rien vu.
Têtue, Octavie Delacour se rend alors, toujours à pied, à Gournay-en-Bray, sept kilomètre plus loin où elle s’arrête à la gendarmerie. Là, elle réitère ses informations. Le maréchal des logis chef Jules Crosnier, âgé de 47 ans, décide de se rendre sur place. Il appelle ses collègues de Mainneville et leur demande de le rejoindre sur les lieux. Il réquisitionne une automobile conduite par le jeune René Allée, fils du garagiste qui emmène avec lui Adrien Blacher, son oncle arrivé au village la veille pour suppléer le garagiste mobilisé. Jules Crosnier est accompagné par les gendarmes Eugène Praets, un gendarme réserviste de 61 ans arrivé à Gournay depuis 10 jours et Eugène Lebas âgé de 43 ans qui s’est engagé pour la durée de la guerre. L’instituteur de Gournay et garde-civil Edouard Noiret, qui parle l’allemand, les rejoint.
Arrivés au hameau de la Rougemare en début d’après-midi, le sous-officier apprend par les habitants que les Allemands se trouvent cachés à 200m environ de la lisière de la forêt. En se dirigeant vers eux, le groupe aperçoit une sentinelle ennemie qui s’enfuie. Au moment de lui intimer l’ordre de s’arrêter, une salve tirée de derrière les broussailles tue le gendarme Praets. Jules Crosnier et Eugène Lebas ripostent et abattent la sentinelle allemande Erich Krampitz mais ne peuvent éviter une seconde salve. Les deux gendarmes sont tués à leur tour. Adrien Blachet est mortellement blessé au ventre. Il succombera dans la nuit suivante. Le jeune instituteur peut s’enfuir dans la voiture de René Allée pour donner l’alerte. En chemin, il rencontre les gendarmes de Mainneville retardés par une crevaison d’un de leurs vélos.
Les Allemands reprennent alors leurs voitures et s’élancent sur les routes de Normandie, traversant à vive allure plusieurs villages.
La nuit suivante, ils sont dans les environs d’Oissel. L’alerte a été donnée aux garde-voies en charge de la surveillance des ponts sur la Seine. A 21 heures 30, les deux voitures sont localisées à Tourville-la-Rivière et se dirigent vers Saint-Aubin-lès-Elbeuf. La voiture est repérée vers 22 heures 30 aux environs du pont d’Oissel.
Vers une heure du matin, les gendarmes et les gardes-civil conduits par le sergent Alphonse Leroy montent une embuscade près du poste d’aiguillages de la gare de Tourville-la-Rivière.
Au passage du convoi ennemi, une fusillade envoie la première voiture s’enliser dans un champ. En sort, l’officier allemand Walther Tiling blessé au bras et à la cuisse. Il se rend ainsi que les cinq autres occupants. Tous sont conduits sous bonne escorte à la gare d’Oissel où ils sont enfermés dans la salle d’attente.
Une heure plus tard, le second véhicule est retrouvé à Igoville, à sept kilomètres d’Oissel. Sous une bâche, un blessé grave qui est aussi transporté à la gare d’Oissel où il décèdera. Mais pas de traces des trois autres occupants qui se sont évanouis dans la nature. Des battues sont organisées, un sous-officier est retrouvé le 17 au matin dans un champ près de Tourville. Les deux autres soldats se rendront dans la nuit du 21 au 22 septembre. Ils erraient dans la campagne, mourant de faim.
Certaines sources affirment que le commando a été renseigné et dirigé par un industriel allemand Ernst Benary qui connaissait la Normandie pour y être venu souvent chasser.
Aujourd’hui, au hameau de la Rougemare se dresse une stèle, pour que l’on se souvienne du sacrifice des trois gendarmes et du civil de Gournay-en-Bray. Elle a remplacé le 29 septembre 1929, un premier mémorial fait d’une croix en chêne.
René Allée sera mobilisé, caporal au 276ème régiment d’infanterie, il trouvera la mort le 14 octobre 1915 devant Notre-Dame de Lorette.
Après la guerre, Octavie Delacour fut citée à l’ordre du 3ème corps de Gendarmerie et décorée de la Croix de Guerre. Elle décéda le 20 mars 1937. Le maréchal des logis Jules Crosnier fut décoré de la Croix de guerre avec palme le 31 août 1915 puis reçu le grade de Chevalier de la Légion d’Honneur à titre posthume le 6 décembre 1921. Les gendarmes Eugène Praëts et Eugène Lebas reçurent également la Croix de Guerre et le Sergent Alphonse Leroy fut élevé au grade d’adjudant et décoré de la Médaille militaire le 13 mars 1915.
Quant au pont d’Oissel, la seconde guerre mondiale lui fut fatale. Lors de la débâcle en 1940, pour contrer l’avancée de l’armée allemande, les soldats français firent sauter l’ouvrage métallique.
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