Sainte Barbe et les mineurs
19NOV
Plusieurs versions de la légende de sainte Barbe existent. Les seuls points communs à toutes sont que la sainte a vécu au troisième siècle, qu’elle était très jolie, très pieuse et qu’elle mourut décapitée par son père.
Selon certains, l’histoire de sainte Barbe se déroule à Nicomédie en Asie Mineure (Izmit en Turquie aujourd’hui). D’autres affirment qu’elle a eu lieu à Héliopolis (Baalbeck aujourd’hui au Liban) sous le règne de l’empereur Maximien.
Son véritable nom serait Barbara, ce que d’autres versions contestent et affirment que quand les chrétiens vinrent chercher le corps de la jeune martyre, ils ne purent la nommer que « la jeune barbare » expression qui, par extension, donna donc le nom de Barbara.
Le père de la jeune fille, un homme riche un d’un naturel cruel du nom de Dioscore, voulut marier sa progéniture et le présenta à de puissants et riches seigneurs. Mais la demoiselle refusa toute union, préférant se consacrer à Dieu. Furieux, le père, pour la punir, l’enferma dans une haute tour à deux fenêtres avant de partir en voyage.
Mais il s’en passa des choses pendant son absence ! D’abord, la jeune femme reçut la visite d’un prêtre chrétien déguisé en médecin qui procéda secrètement à son baptême. Puis elle perça une troisième fenêtre entre les deux autres afin de symboliser la Trinité.
Dès son retour, apprenant que son enfant s’était converti au christianisme, Dioscore entra dans une rage folle, voulu l’immoler en incendiant la tour. On ne sait pas quel miracle la jeune fille réussit à s’échapper, à s’enfuir dans la montagne et à s’y cacher.
Malheureusement, un berger découvrit l’endroit où elle se terrait et la dénonça à son père qui la saisit par les cheveux, la traîna jusqu’à la ville et l’enferma dans un donjon. Le lendemain, il la conduisit devant un magistrat.
Dans la version qui se passe à Nicomédie, la jouvencelle fut menée devant un juge nommé Marcien (qui se convertira lui-même plus tard au catholicisme et sera condamné à être brûlé vif sous l’empereur Dèce lors de la persécution des chrétiens vers l’an 250).
La demoiselle fut condamnée à subir d’affreux supplices pendant lesquels elle continuait à prier le Christ. Elle fut d’abord torturée : on lui brûla certaines parties du corps et on lui arracha les seins avec des peignes de fer, la brûla avec des lames rougies puis elle fut fouettée mais refusa toujours d’abjurer sa foi car elle ne ressentait pas la douleur. Alors qu’elle était promenée nue à travers le pays, tirée par un cheval, un ange descendit du ciel et vint cacher sa nudité en la couvrant d’un vêtement lumineux.
Le gouverneur ordonna alors à son père de lui trancher la tête. La condamnée fut conduite en haut d’une montagne où Dioscore accomplit son geste funèbre. Aussitôt il fut frappé par la foudre, brûlé et mourut sur place. Quant au berger qui avait dénoncée la jeune femme, il fut changé en pierre et ses moutons en sauterelles.
Une version ajoute que le corps de Barbe s’éleva vers le ciel dans une boule de feu. Une autre affirme que des chrétiens vinrent récupérer le corps de la jeune martyre qui devint quelque temps plus tard « sainte Barbe ». Enfin, selon une troisième version, la jeune femme se serait enfuie après s’être déguisée et qu’elle se serait cachée dans un champ de blé.
La jeune femme aurait été canonisée dans la première moitié du 16ème siècle mais son culte se serait popularisé dès le 13ème siècle en Occident. Son corps fut exhumé solennellement et ses reliques transportées au fil des siècles dans différents pays. On en trouverait aujourd’hui à Constantinople, à Venise. D’autres, qui auraient été conservées dans une église orthodoxe du Caire sont de nos jours vénérées dans la cathédrale Saint Vladimir de Kiev en Ukraine.
Sainte Barbe protège contre la foudre et la mort subite, donc contre le tristement célèbre coup de grisou hantise des mineurs, et les explosions dans les galeries. Elle fut donc désignée patronne des mineurs de fond puis par extension, du monde de la mine dans son ensemble. Dès le 18ème siècle, elle fut fêtée dans les mines à ciel ouvert du centre de l’Europe. Au 19ème siècle, avec le début de l’exploitation de la houille, le culte de sainte Barbe se développa dans les compagnies minières du Nord et du Pas-de-Calais.
La très catholique Société des mines de Lens entreprit dès sa création de vénérer sainte Barbe. Dès leur construction, chaque cité était placée sous la protection d’un saint et élevée au rang de paroisse. Des chapelles y furent construites. A la fin du 19ème siècle, elles furent remplacées par des églises. La première fut construite par la compagnie lensoise dans la cité du Moulin à proximité de la fosse 4, une cité où les corons étaient habités par environ 5000 personnes. Cette église, ouverte le 19 avril 1897, fut placée sous le vocable de Sainte-Barbe.
Sainte Barbe est fêtée le 4 décembre. Cette journée devint rapidement dans les cités minières un jour de dévotions et de festivités. Pour se rendre dans les estaminets ou pour offrir quelque présent à sa famille, le mineur, qui ne touchait qu’un maigre salaire, devait travailler plus durement et plus rapidement les jours précédents la fête, c’était la période des « longues coupes ». L’augmentation de sa productivité lui permettait d’obtenir quelques primes de rendement qui s’ajoutaient au montant de sa maigre « quinzaine » car le mineur était payé toutes les deux semaines. C’était dans la période du 15 au 30 novembre que le rythme était le plus élevé au détriment parfois de la sécurité ou des règles sociales. Ceci explique que la Société des mines de Lens encourageait les mineurs à participer à la « quinzaine Sainte-Barbe » contre l’avis des syndicats.
En 1878, le rapport mensuel du mois de décembre de la compagnie signalait que « l’extraction a beaucoup baissé en raison de la fête de Sainte-Barbe toujours largement et longuement fêtée par les ouvriers et les mineurs qui ont beaucoup dansé et peu travaillé. » En 1891, les fêtes de Sainte-Barbe n’eurent pas lieu : dans le Bassin minier, 30 000 mineurs étaient en grève et deux ans plus tard dans les mines de Lens, les syndicats obtinrent la suppression de la « quinzaine Sainte-Barbe ».
Cependant la tradition fut rétablie dès l’année suivante à la demande des mineurs de fond. Toutefois, certaines règles furent imposées aux compagnies : les galibots, les enfants de 13 à 16 ans (que la loi interdisait de travailler plus de 8 heures au fond) et les jeunes ouvriers (dont le temps de travail ne devait pas être supérieur à 10 heures par jour) étaient tenus lors de la quinzaine Sainte-Barbe à ne pas dépasser les 15 heures de présence dans les galeries.
En 1905, la Société des mines de Lens décida que tout mineur titulaire de la médaille d’honneur recevra le jour de la Sainte-Barbe une prime égale au revenu d’une action de la compagnie soit environ 45 francs. 96 mineurs touchèrent la prime cette année-là.
En 1906, quelques mois après la catastrophe des mines de la compagnie de Courrières, la production de la compagnie minière lensoise pendant la quinzaine Sainte-Barbe était de 250 000 contre 114 000 lors d’une quinzaine ordinaire. En 1913, la Société récompensa par une prime de 300 francs le mineur qui avait été désigné le plus productif. Plus tard, Félix Bollaert décida que les employés et ouvriers ayant plus de 30 ans de service recevraient une action de la compagnie et les 100 plus anciens ouvriers une prime de 100 francs.
Le samedi 8 décembre 1919, dans un Lens dévasté par les exactions de la première guerre mondiale et alors que les puits de la compagnie sont encore inexploitables, la Société des mines de Lens fête sainte Barbe pour la première fois depuis 1913. Ernest Cuvelette déclare devant une berline vide : « Bientôt, elle sera de nouveau remplie de charbon ». Après une messe célébrée en la chapelle Saint-Edouard, un grand banquet de 180 couverts est offert dans une salle de la centrale thermique de Vendin-le-Vieil.
Sainte Barbe était partout dans les cités minières. Dans de nombreux puits, une statue de la sainte était présente dans les galeries, près des cages de descente.
Pourtant la sainte n’a pas toujours protégé les mineurs. En février 1877 à Boussargues dans l’Hérault, 42 mineurs perdirent la vie après un coup de grisou dans les galeries d’une fosse pourtant nommée « puits Sainte-Barbe ». Un an plus tard, dans le bassin de la Loire, à Martoret, c’est dans un autre puits Sainte-Barbe qu’on releva 11 cadavres. Le 5 décembre 1891, dans le puits de la Pompe, à Saint-Étienne, les mineurs redescendirent au fond après la fête de la veille. 71 d’entre eux ne remontèrent pas, la sainte n’avait pas pu les protéger d’un violent coup de grisou.
Lens devint rapidement la capitale du Pays minier, la Sainte-Barbe n’était pas fêtée que dans les fosses. Dès le début du 20ème siècle, la municipalité d’Emile Basly donna congé à ses employés. En ville, sur la place Verte, avait lieu pendant trois semaines la foire Saint-Barbe avec sa fête foraine, ses concerts et ses bals.
Au début de l’exploitation charbonnière, le 4 décembre n’était pas un jour chômé mais les journées étaient exceptionnellement moins longues. Ce jour-là, le briquet était gargantuesque et partagé entre tous, du porion au galibot. Certains mineurs descendaient avec leur bistouille (mélange de café et de gnole) pour la boire entre copains, d’autres avec des gâteaux ou des brioches confectionnés par leur femme qu’ils se partageaient avant parfois de danser entre Gueules Noires. Cette épouse qui avait fait brûler une chandelle au fond de sa cave pendant la quinzaine Sainte-Barbe pour protéger son mari des accidents.
Plus tard, le jour de Sainte-Barbe devint une journée chômée mais non payée (elle ne sera payée qu’après la nationalisation en 1946). Seuls les indispensables restaient au fond tel les gardes de chevaux, le responsable d’extraction ou de la ventilation. Dans certaines fosses, la veille de la Sainte-Barbe, les mineurs travaillaient jusqu’à l’extinction d’une chandelle. Dès la fin de service, les estaminets et cafés du coin se trouvaient rapidement envahis de mineurs, l’alcool coulait à flot et les esprits s’échauffaient vite. Les chants retentissaient dans les rues dont le plus courant :
« Et bin non, sainte Barbe, alle est pas morte,
Et bin non, sainte Barbe, alle est pas morte,
Car alle vit, car alle vit
Car alle vir incor’ » »
Puis c’était le retour à la maison : l’épouse et les enfants souhaitaient alors une bonne fête au papa mineur et lui offrait quelques présents : cigares, pipes, tabac … Ce soir-là, il y avait exceptionnellement du vin lors du souper pris en famille.
Après le repas, quelques mineurs retrouvaient au café du coin des collègues qui n’étaient pas encore rentrés chez eux. On buvait et chantait aux cris de « Vive sainte Barbe !».
Pendant ce temps, dans les Grands Bureaux, la compagnie (puis les HBNPC) offrait à ses cadres et agents de maîtrise un grand banquet au cours duquel étaient remises les médailles du travail. Dans la semaine, les retraités et leurs épouses étaient conviés à une journée festive dans l’une des nombreuses salles des fêtes des houillères tandis que la direction remettait un colis en cadeau à tous les mineurs hospitalisés.
Le 4 décembre, la journée commençait par la messe de Sainte-Barbe. Les mineurs et leur famille, endimanchés, se rendaient à l’église. Celle-ci était pleine car parfois même les non-pratiquants étaient présents, manifestant ainsi leur attachement à leur sainte patronne. Une procession était organisée, emmenée par la fanfare ou l’harmonie de la cité. Les plus anciens mineurs avaient le privilège de porter la statue de la sainte jusqu’à l’autel.
La messe durait au moins 2 heures. Elle était payée par la compagnie et l’harmonie des mines jouaient les airs religieux chantés par une chorale paroissiale. Le sermon était bien sur consacré uniquement à sainte Barbe et à la reconnaissance du travail laborieux mais courageux des mineurs.
Après la messe, les cafés du quartier étaient de nouveau assaillis : les hommes s’y retrouvaient de nouveau pour boire quelques verres de vin, fumer un cigare ou une pipe tout en chantant quelques chansons paillardes jusque tard dans l’après midi. Les chants étaient de plus en plus forts et les danses de plus en plus vacillantes.
Puis c’était le retour à la maison où la ménagère avait préparé le repas de Sainte-Barbe, arrosé par le reste de la bouteille de vin de la veille. Parfois, on se regroupait autour de la table entre voisins et amis.
Le repas terminé, on se rendait en famille à la foire Sainte-Barbe. Après avoir tourné sur les manèges, les enfants ne revenaient jamais sans la « queuche » de pain d’épice ou le sucre d’orge. Le soir, un bal était organisé dans les cités. C’était souvent pour les jeunes filles des corons qui avaient fêté sainte Catherine quelques jours plus tôt, l’occasion de faire leur « bal des débutantes ».
C’est dans les Houillères du bassin de Lorraine, dans la mine de La Houve sur la commune de Creutzwald que sainte Barbe est remontée pour la dernière fois du fond des galeries. Le 23 avril 2004, cette remonte des mineurs et de la statue de leur sainte mit un terme définitif à l’exploitation du charbon en France. Le rideau se baissait alors une ultime fois. C’en était fini de plus de deux siècles d’exploitation de la houille sur le territoire national.
Dès lors, la Sainte-Barbe a été de moins en moins fêtée. La tradition de la messe a perduré quelques temps dans certains corons mais le caractère religieux de la journée a été peu à peu remplacé par des manifestations commémoratives. Aujourd’hui, quelques associations veulent renouer avec les traditions pour que nos descendants n’oublient pas ce qu’était les fêtes de Sainte-Barbe chez les mineurs.
Avec la fin de l’exploitation du charbon, la Sainte-Barbe a été de moins en moins fêtée. La tradition de la messe a perduré quelques temps dans certains corons mais le caractère religieux de la journée a été peu à peu remplacé par des manifestations commémoratives. Aujourd’hui, quelques associations veulent renouer avec les traditions pour que nos descendants n’oublient pas ce qu’était les fêtes de Sainte-Barbe chez les mineurs.
Cette année, l’agglomération de Lens-Liévin en entente avec les communes et des associations renoue avec la tradition de la Sainte-Barbe au travers de temps forts culturels, festifs et fédérateurs sur des lieux emblématiques du patrimoine minier.
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